2.2. Le modèle de Solow de 1956

Dans le modèle de Solow, l’économie produit un bien homogène avec une fonction de production à rendements constants avec deux facteurs de production, K le capital et N le travail. La fonction de production détermine l’output Y et s’écrit Y = F (K, N). Comme il s’agit d’un modèle mono‑sectoriel, le bien se répartit en consommation et en investissement : Y = C + I = N.c + . La détermination de la consommation, et par conséquent de l’épargne, se fait de manière comportementaliste, c’est‑à‑dire que la propension à épargner est définie de manière exogène. On a C = c (Y) et = F (K, N) ‑ N.c (K, N). L’évolution de la population se fait au taux de croissance n et s’écrit : Nt = N. ent. Le volume d’emploi se calque sur la population et élimine de ce fait les problèmes de coordination sur le marché du travail. L’économie fonctionne toujours à pleine capacité. Le niveau de production permet d’utiliser tout le travail et toutes les capacités de production. Les facteurs de production sont substituables. Il existe donc un niveau optimal d’intensité capitalistique déterminant les niveaux optimaux de productivité, puis le niveau optimal de production. L’offre de travail est définie par L. La production par tête s’écrit y = f(k). Le marché du bien est toujours équilibré et par conséquent, l’investissement désiré est toujours égal à l’épargne désirée. Selon la vision comportementaliste, la propension marginale à épargner s est donnée. On note I =  = sY. Comme le plein emploi est toujours assuré, l’offre est toujours égale à la demande : Lt = Nt = N. ent. Le taux de croissance du capital est donné par , ou encore . La solution particulière de cette équation différentielle est la croissance équilibrée à taux constant. Toutes les variables ont un taux de croissance identique et ce taux reste le même au cours du temps. Comme le capital et le travail croissent au même taux, l’intensité capitalistique reste inchangée (=0). La valeur particulière k* donne nk* = s. (k*). La production, le capital et le travail croissent au même taux constant n. La solution particulière k* caractérise une situation de croissance équilibrée à taux n. Le revenu par tête reste inchangé puisque le revenu global augmente en même temps que la population. Le coefficient de capital v est défini par la relation entre le capital et le travail et reste constant. Le taux d’épargne est déterminé de manière exogène, ce qui signifie qu’une augmentation de l’épargne ne modifie pas le taux de croissance de l’économie. Il n’a d’influence sur l’économie que lors de la phase de transition, c’est‑à‑dire lorsque l’économie se dirige vers son sentier de croissance de long terme. Nous reprenons ce point dans la section 5 de ce chapitre 130 .

Le modèle de croissance de Solow est résumé par l’équation . Quel est le rapport entre la dynamique du modèle et le sentier de croissance équilibrée ? Si le rapport capital/travail est celui qui correspond au sentier de croissance équilibrée, c’est‑à‑dire si k = k*, l’économie suit ce sentier. La relation signifie que le rapport entre le produit par tête et le capital par tête est égal au rapport entre le taux de croissance de la population et la propension marginale à épargner. Si k  k*, un mécanisme d’ajustement va permettre à l’économie d’atteindre le sentier de croissance équilibrée. Le paramètre technologique défini par le coefficient de capital v = K/Y va servir de variable d’ajustement.

Au point d’intersection de s . (k) (définie comme une fonction de production néoclassique « well‑behaved », c’est‑à‑dire monotone, croissante et concave) et de nk, dans le plan (k, (k)),  = s . (k*) ‑ nk* = 0 et k = k*. Si k < k*,  = s . (k) ‑ nk > 0, s . (k) > nk. Les niveaux d’épargne et d’investissement impliquent que le stock de capital croît plus vite que l’offre de travail. La productivité marginale du capital va diminuer et faire diminuer également le taux de profit, entraînant une substitution entre travail et capital. L’augmentation du capital fait augmenter le rapport du capital au produit. Si k > k*,  = s . (k) ‑ nk < 0, s . (k) < nk. Les niveaux d’épargne et d’investissement impliquent que le stock de capital croît moins vite que l’offre de travail. La productivité marginale du capital va augmenter et faire augmenter également le taux de profit, entraînant une substitution entre travail et capital. La diminution du capital fait diminuer le rapport du capital au produit. Le taux de croissance s’ajuste dans les deux cas au taux de croissance naturel. Les facteurs de production ont une productivité marginale décroissante : plus le capital augmente, moins une quantité supplémentaire de capital ne produit de bien final, c’est‑à‑dire de capital puisque l’économie n’a qu’un seul bien. La productivité marginale décroissante permet à l’économie d’atteindre et de rester sur le sentier de croissance équilibrée. Ce mécanisme est au centre de l’analyse de l’équilibre des marchés des facteurs, mais ne permet pas de fournir une explication de la croissance du revenu par tête. Celle‑ci est possible, si l’on introduit du progrès technique dans l’économie.

Dans le cas présenté ci‑dessous, la création et la diffusion du progrès technique ne font pas l’objet d’un traitement analytique. Le progrès technique n’est pas présenté comme le résultat du comportement des agents. Il apparaît de manière exogène. Il n’est pas généré par le modèle et affecte l’économie dans son ensemble. Ces conditions définissent un progrès technique à la fois exogène et uniforme. Le progrès technique introduit dans ce modèle est « labor‑augmenting », c’est‑à‑dire qu’il améliore la productivité du travail en laissant le coefficient de capital inchangé. C’est un progrès technique neutre au sens de Harrod, qui implique que le travail et le progrès technique ont des rôles similaires. La production du bien dépend de la quantité du travail utilisé, mais également de sa qualité. Quand le progrès technique est « labor‑augmenting », le travail n’est plus mesuré en unités de travail, mais en unités de travail efficaces. Au lieu de retenir un facteur travail simple, il est fait référence à un facteur travail tenant compte de l’efficacité productive. La fonction de production s’écrit Y = F(K, E). La productivité du travail croît à un taux identique au cours du temps défini par m. Si ce taux n’est pas constant, le modèle ne décrit plus une croissance équilibrée E = Lt . emt, si m = 0 (pas de progrès technique) alors Et = Lt = N. ent et Et = emt N0 . ent = e(n + m)t N0.

= n + m joue le rôle de n dans l’expression du modèle de Solow sans progrès technique. La condition de croissance équilibrée à taux constant pour la version avec progrès technique est l’égalité entre 1/v et /s. Sans progrès technique, le salaire par travailleur et le niveau de la production par travailleur sont constants au cours du temps. L’introduction du progrès technique permet à la production et au salaire par tête (w) de croître. Cette croissance se fait au taux du progrès technique. Parallèlement, le produit total et le stock de capital vont croître au taux  = n + m : wt = w0 . emt et yt = y0 . emt. Cette version du modèle de Solow avec progrès technique permet au revenu par tête d’augmenter. Néanmoins, elle reste très insuffisante, parce que le progrès technique est conçu en dehors de la sphère économique et parce qu’il apparaît dans le temps à un taux constant. Certains travaux ont alors essayé d’intégrer un progrès technique de nature différente dans leurs modèles de croissance. Ce sont ces tentatives qui nous intéressent maintenant.

Notes
130.

Voir p. 96.