3.2. Prise en compte d’un changement technique endogène

L’ambition de Arrow [1962a] est de rapprocher les conclusions analytiques des théories néoclassiques de la croissance des résultats empiriques proposés par Solow [1957] et Abramovitz [1956] 148 . Arrow veut proposer « une théorie endogène des changements de la connaissance qui sont responsables des mouvements internationaux et intertemporels des fonctions de production » 149 . Le cœur du modèle repose sur l’apprentissage par la pratique, dont le mécanisme est décrit par Rosenberg [1982] de la manière suivante : « c’est une forme d’apprentissage qui existe au stage de production une fois que le produit a été conçu (...). L’apprentissage à ce niveau (...) consiste à développer une dextérité croissante dans la production. Cela a pour effet de réduire le coût réel du travail par unité de produit » 150 . L’acquisition de la connaissance est assimilée à l’apprentissage et résulte de l’expérience. Un bien capital obtenu avec un montant G d’investissement brut est appelé un bien de série G. On note (G) la quantité de travail employée sur un bien capital de série G et (G) la capacité de production d’un bien capital de série G. La quantité de travail pour obtenir une quantité d’output donnée diminue progressivement pour chaque nouvelle série de bien capital, mais réduit de moins en moins vite. Chaque nouvelle série de bien capital permet d’améliorer la productivité du travail. L’output correspond à x et la quantité de travail est donnée par L : et .

Un bien capital de série G est toujours utilisé avant un bien capital de série antérieure. Les biens capitaux ont une durée de vie physique fixe. Ils disparaissent dans l’ordre de leur apparition. Les biens capitaux utilisés à n’importe quel instant sont de série G’ à G. En notant G(t) l’investissement brut cumulé au moment t, on écrit G’(t)  G(t‑). On considère que le plein emploi est assuré en période de croissance et que L(t) est donné de manière exogène. On écrit alors et . La substitution entre capital et travail peut intervenir avant la mise en place des nouvelles machines, mais une fois que celles‑ci sont installées, le rapport du capital au travail est fixe. Cela revient à dire que (G) est une constante, notée a. Donc, Γ(G) = aG, (G) = bG‑n avec n > 0 et Λ(G) = cG1‑n avec et n  1. Quand n  1, et quand n = 1, Λ(G) = b . logG et . Aussi, x est défini par deux fonctions caractérisées par des rendements d’échelle croissants pour G et L. Quand n = 1, une hausse de G implique, ceteris paribus, une hausse de x proportionnelle. Un accroissement de L entraîne également une hausse de l’output. Quand n  1, x croît plus que proportionnellement que G ou L.

Les rendements croissants ne posent pas de problème en termes de répartition, puisque chaque facteur est rémunéré selon sa productivité marginale. La productivité marginale privée du capitale est plus faible que la productivité marginale sociale, car l’apprentissage n’est pas rémunéré sur le marché. Evidemment, le niveau de l’investissement concurrentiel ne coïncide pas avec celui requis pour atteindre l’optimum social. Arrow montre que le taux de croissance du salaire augmente avec la hausse de la population active, parce que la croissance de la population active permet une introduction plus rapide de nouvelles machines. Le modèle de Arrow occupe une place particulière entre les théories néoclassiques de la croissance et les théories de la croissance endogène. d’Autume et Michel [1993] 151 rappellent que le modèle de Arrow a permis d’ouvrir la voie aux modèles de croissance endogène. D’ailleurs, en s’appuyant sur cette contribution, Nyssen [1995] rappelle le moyen d’élargir les caractéristiques du modèle de Arrow de manière à engendrer de la croissance endogène. Il souligne préalablement que « ce qui intéressait Arrow, c’était d’analyser comment la connaissance (au sens large) pouvait être à l’origine des rendements croissants dont chacun s’accordait à reconnaître l’existence. Son propos n’était pas du tout porté sur la valeur exacte de ces rendements » 152 . Quoi qu’il en soit, si l’hypothèse sur les rendements décroissants des effets externes est abandonnée au profit d’une hypothèse de rendements constants ou croissants, comme dans le modèle de croissance endogène de Romer [1986], le modèle de Arrow peut définir des cas de croissance endogène. Il suffit qu’en outre, le taux de croissance de la population ne soit pas supérieur à celui de l’épargne, permettant la mise en place d’équipements nouveaux capables d’occuper les nouveaux travailleurs.

Notes
148.

Abramovitz M. [1956], « Resource and Outputs Trends in the United States since 1870 », American Economic Review, Papers & Proceedings, vol. 46, no. 2, May.

149.

« An endogenous theory of the changes in knowledge which underlie intertemporal and international shifts in production functions », Arrow [1962], p. 155.

150.

« This is a form of learning that takes place at the manufacturing stage after the product has been designed (...). Learning at this stage (...) consists of developing increasing skill in production. This has the effect of reducing real labor cost per unit of output », Rosenberg [1982], p. 121.

151.

d’Autume A. ‑ Michel P. [1993], « Endogenous Growth in Arrow’s Learning by Doing Model », European Economic Review, vol. 37, issue 6, August, pp. 1175‑1184.

152.

Nyssen [1995], p. 38.