5.3. Politiques affectant le taux de croissance de long terme

Le taux de croissance de l’état régulier, et donc le taux de croissance du revenu, ne peuvent être modifiés, parce qu’ils sont définis par le taux de croissance exogène de la population et du changement technique. Sur le sentier de croissance équilibrée, une hausse de l’épargne et des investissements se traduit par un nouvel état régulier, mais ne modifie pas le taux de croissance de l’économie. Solow [1970] explique que dans ce cas, « ‘le taux de croissance du produit doit d’abord être plus élevé que le taux de croissance de l’état régulier parce que le produit croît plus vite que dans l’état régulier précédent. Mais finalement l’économie converge vers son nouvel état régulier ; le taux de croissance du produit décroît jusqu’au taux naturel, taux de croissance de la population active, parce que l’emploi par unité de capital, le produit par unité de capital, et le produit par tête convergent tous vers les valeurs du nouvel état régulier’ » 220 . En conséquence, Solow note que « ‘le résultat d’un taux d’épargne plus élevé n’est pas un taux de croissance en permanence plus élevé ; c’est un produit par tête en permanence supérieur’ » 221 . Sur ce point, et sans anticiper les débats sur le rattrapage discutés dans la troisième partie, une remarque s’impose. Les relations entre le taux de croissance de long terme du produit, défini par la croissance de la population active, et le niveau du produit peuvent sembler a priori un problème mineur. Toutefois, comme le soulignent Barro et Sala‑i‑Martin [1995], des différences même faibles de taux de croissance entre deux pays à un moment donné se traduisent par des écarts conséquents sur une longue période en termes de niveaux. Reprenons l’exemple de Barro et Sala‑i‑Martin [1995] pour les Etats‑Unis : entre 1870 et 1990, le revenu par tête, mesuré en dollars de 1985, est passé de 2 244 à 18 258 et a été multiplié par 8.1. L’accroissement correspond à un taux de croissance annuel moyen de 1.75 % sur la période. Or, Barro et Sala‑i‑Martin soulignent que si le taux de croissance annuel moyen n’avait été que de 0.75 %, soit un point de moins, le revenu par tête n’aurait été que de 5 519 dollars de 1985 en 1990. Il n’aurait été multiplié que par 2.5 et n’aurait correspondu qu’aux trois dixièmes de celui réellement atteint. Ce point illustre l’importance à accorder à une (ou des) politique(s) économique(s) susceptible(s) d’accroître le taux de croissance de long terme de l’économie. Conséquemment, il justifie la non‑trivialité à trouver des éléments théoriques de politiques économiques.

L’analyse néoclassique traditionnelle de la croissance n’exclut pas a priori les politiques économiques. Le taux de croissance de l’économie repose à la fois sur la croissance exogène de la population et sur la croissance exogène du changement technique. Rappelons que le taux de croissance du revenu par tête n’est, quant à lui, tributaire que du seul progrès technique. Un renforcement du rythme du changement technique se traduit par une hausse du taux de croissance de l’économie. Le problème, pour l’analyse néoclassique réside dans le fait que le changement technique est perçu comme un phénomène a‑économique, au sens où il n’est pas le résultat d’une activité économique. Il est conçu à l’extérieur de la sphère économique et repose sur les activités de recherche, définies comme la « production » des activités scientifiques. Aussi, la politique économique n’est pas exclue dans le modèle néoclassique traditionnel, puisqu’une hausse de la recherche publique permet d’accroître le stock des connaissances fondamentales susceptibles de trouver une application économique au sein des entreprises. Solow [1970] souligne que « ‘pour modifier le taux de croissance du produit réel par tête on doit modifier le taux du progrès technique. Ce peut être un objectif de politique, et il y a, à l’heure actuelle, un débat au sujet de l’allocation des ressources à la recherche et au développement’ » 222 . Notons que Solow ne donne aucune information sur le contenu de ce débat. La mesure des effets des dépenses publiques de recherche sur le rythme du changement technique concerne davantage l’économie de l’innovation. Solow [1970] indique que « ‘dans tous les cas, des politiques économiques semblables impliquent des considérations tout à fait étrangères au modèle que nous avons étudié : il peut donc être très peu explicite sur ce point ’» 223 . En ce sens, le paradigme de la croissance et le paradigme du changement technique sont complémentaires et leur séparation peut s’apparenter à un découpage des savoirs, lié à l’accroissement des connaissances.

Notes
220.

Solow [1970], p. 44.

221.

Solow [1970], p. 44.

222.

Solow [1970], p. 112.

223.

Solow [1970], p. 113.