Objectif du troisième chapitre

L’objectif de ce chapitre est d’étudier les principaux thèmes, de la création aux conditions de la diffusion, abordés par les travaux sur le changement technique et l’innovation, contemporains des travaux néoclassiques sur la croissance. Nous avons rappelé que les travaux de la croissance considèrent que le progrès technique est la principale source de la croissance, mais stipulent en même temps que les technologies sont générées par les activités scientifiques. Cette appréciation est justifiée dans les premiers travaux sur le progrès technique que nous présentons plus loin. En fait, en explorant de nouvelles questions, l’analyse du changement technique prend de plus en plus de distance avec les premières intuitions néoclassiques. Les travaux empiriques ou appliqués sur le changement technique montrent que les relations entre la recherche publique, les structures de marché et les innovations sont plus complexes que celles énoncées par Arrow [1962b], et surtout difficiles à mesurer statistiquement. Les nouvelles directions prises par les travaux sur le changement technique à la fin des années soixante‑dix conduisent aux deux conséquences suivantes :

  • le développement de travaux en rupture avec les hypothèses néoclassiques et soucieux de représenter plus précisément le contexte au sein duquel apparaissent et se diffusent les innovations ;
  • la poursuite de travaux d’inspiration néoclassique et la nécessité pour les travaux sur la croissance d’intégrer les avancées obtenues par l’économie du changement technique et de l’innovation.

Ces deux directions correspondent respectivement aux théories évolutionnistes et aux théories de la croissance endogène. Le but de ce chapitre est de comprendre les conditions de leur émergence, en étudiant les thématiques du changement technique et leurs développements les plus récents, quand elles ne correspondent pas à des travaux « purement » évolutionnistes. La place des études empiriques ou appliquées est centrale dans l’analyse du changement technique et de l’innovation. Elle justifie une remarque de Stoneman [1995] dans l’introduction au Handbook of the Economics of Innovation and Technological Change selon laquelle « comme pour tous les sujets passionnants il y a une multiplicité d’approches théoriques sans accord universel sur la supériorité de l’une sur l’autre » 233 . La notion d’ « approche théorique » a une signification particulière pour Stoneman, et correspond à une « structure d’analyse » 234 . Ce commentaire souligne la multiplicité, non pas des approches théoriques, mais des niveaux d’analyse (la firme, la technologie ou l’industrie). Or, la diversité théorique n’est pas aussi marquée, dans la mesure où la plupart des travaux sont construits sur un modèle néoclassique, même si certaines hypothèses semblent parfois « relâchées ». Pour cette raison, considérer que l’écart par rapport au cadre commun est le prix à payer pour faire progresser les connaissances sur le changement technique et l’innovation nous semble une erreur d’interprétation. Cette perception revient à assimiler tous les travaux sur le changement technique et l’innovation et à nier le fait que les travaux évolutionnistes ne sont pas des études appliquées, mais des travaux construits sur des hypothèses particulières, non pour des raisons de commodité, mais par choix.

Notes
233.

« As in all exciting subject there are a multiplicity of theoretical approaches with little universal agreement as to the superiority of one over another », Stoneman [1995], p. xiii.

234.

« Framework »