1.2. La problématique de la diffusion de la technologie

Dans l’approche traditionnelle, une nouvelle technologie correspond la plupart du temps à un nouveau type de processus de production, défini par un certain ensemble de biens d’équipements (Amendola ‑ Gaffard [1988]). La nouvelle technologie permet de produire une même quantité de bien avec une combinaison plus faible de facteurs ou, ce qui revient au même, de produire une plus grande quantité de bien avec la même combinaison de facteurs. Le progrès technique se mesure par la baisse des facteurs de production utilisés par bien produit. La technologie a un double aspect :

Le côté « hardware » de la technologie en fait partiellement un bien privé, puisque la possession du bien contenant la technologie prive les autres agents économiques de ce bien. Dans le même temps, le côté « software » de la technologie en fait partiellement un bien public, puisque la possession des informations techniques de ce bien ne prive pas les autres agents de ces informations. Cette conception présente la technologie comme une ressource exogène pour les agents économiques. Aussi, deux ou plusieurs technologies nouvelles peuvent se concurrencer, si elles se présentent sur le marché au même moment. D’ailleurs, quand l’une d’entre elles est adoptée, les autres ne disparaissent pas pour autant, toutes les technologies existantes constituant l’ « annuaire des techniques ». La question du choix de la meilleure technologie est résolue par référence à l’allocation optimale des ressources mises en œuvre. La technologie retenue correspond à celle qui permet d’obtenir le plus de produit avec le moins de facteurs possibles, ceux‑ci étant mesurés en prix relatifs. Dans ces conditions, le processus d’innovation correspond à l’adoption de la nouvelle technologie par l’économie. La manière dont se fait l’adaptation de l’économie à la nouvelle technologie détermine le processus d’innovation. Le point d’arrivée de ce processus est déterminé a priori et dépend des caractéristiques de la nouvelle technologie. Il correspond à la pleine adaptation de la capacité productive à la nouvelle technologie. Dès lors, ce qui importe, c’est plus le résultat du progrès technique que le processus de changement lui‑même (Amendola ‑ Gaffard [1988]).

Rogers [1983] explique que le processus d’innovation prend du temps, « ‘entre le moment où l’agent a connaissance d’une innovation et son acceptation ou son rejet ; pour l’adoption de l’innovation par un agent ou une unité, en fonction de sa capacité à intégrer l’innovation ; pour l’adoption de l’innovation par l’ensemble d’un système, mesuré par le nombre de firmes l’ayant adoptée au sein du système pour une période donnée’ » 252 . Au niveau de l’entreprise, le processus de prise de décision se décompose en cinq périodes :

Le rythme de diffusion de la technologie au niveau de l’économie entière, c’est‑à‑dire la durée du processus d’innovation, est généralement défini par l’intermédiaire d’une courbe en S. Celle‑ci indique que l’adoption de la nouvelle technologie, définie comme le processus d’innovation, se fait en plusieurs phases :

Ce phénomène de diffusion repose sur le rôle de l’information et décrit le premier temps du processus de décision individuelle des entreprises. Ainsi, quand les entreprises ont peu d’information concernant la nouvelle technologie, elles associent son adoption à un haut degré de risque. Quand le nombre d’entreprises adoptant la nouvelle technologie augmente, la quantité d’information relative à la nouvelle technologie croît. Le rythme de diffusion augmente jusqu’à un niveau où il commence à ralentir, traduisant le fait que les dernières entreprises adoptent lentement la technologie. La diffusion, telle qu’elle apparaît avec la courbe en S, peut être représentée par une fonction, où x(t) correspond à la fraction d’entreprises ayant adopté la nouvelle technologie au moment t et où 1‑x(t) correspond à la fraction d’entreprises ne l’ayant pas adoptée. Le rythme de diffusion est donné par l’égalité suivante, où β est constant : . La solution de cette équation différentielle est donnée par x(t) = (1+e­‑α‑β‑­t)‑1. Elle décrit une courbe de temps, où le taux de diffusion croît jusqu’à un point d’inflexion puis décroît. Une étude empirique permet de connaître le moment où chaque entreprise adopte la technologie. En adaptant cette équation aux données, il est possible de trouver les meilleures valeurs pour les paramètres α et β. Le premier décrit le point à partir duquel le rythme croît et le deuxième définit la pente de la courbe. Cette conception de la diffusion est basée sur l’hypothèse selon laquelle la population des entreprises se répartit en « pionniers », « imitateurs hâtifs » et « retardataires » 253 . Rogers [1983] et Coombs, Saviotti et Walsh [1987] soulignent que ce type d’analyse néglige certains aspects de la structure industrielle, comme l’absence de changement du nombre d’entreprises pendant la diffusion ou comme l’hétérogénéité des entreprises. Cette dernière caractéristique se manifeste notamment par des mécanismes de décision internes différents et des entreprises de taille variable.

Notes
252.

« (1) In the innovation‑decision process by which an individual passes from first knowledge of an innovation through its adoption or rejection (2) in the innovativeness of an individual or other unit of adoption ‑that is, the relative earliness/lateness with which an innovation is adopted‑ compared with other members of a system (3) in an innovation’s rate of adoption in a system, usually measured as the number of members of the system that adopt the innovation in a given time period », Rogers [1983], p. 20.

253.

Respectivement « pioneers », « early imitators » et « laggards ».