2.2. Structures de marché et incitations à innover chez Arrow [1962b]

En 1962, Arrow [1962b] s’intéresse aux incitations à innover. Il distingue les structures de marché monopolistiques et les structures concurrentielles. L’innovation technologique est définie sous forme d’information. Son utilisation par une entreprise n’empêche pas une autre entreprise de l’employer également : elle est indivisible. De plus, l’utilisation de la nouvelle information se fait avec des rendements croissants. La possibilité pour qu’une entreprise soit la seule à utiliser la nouvelle technologie consiste à se protéger par un brevet. Tirole [1988] présente la problématique de Arrow et étudie l’incitation à innover pour les trois structures de marché suivantes : présence d’un planificateur social, situation de monopole et concurrence. Il retient l’exemple d’une innovation de procédé, permettant de faire passer le coût moyen de production d’un bien de c1 à c2 avec c2 < c1. Le problème revient à comparer l’incitation à innover dans chacun des cas. L’incitation à innover du planificateur est égale à l’accroissement de surplus social net lié à l’innovation. Le produit est vendu au coût marginal, c’est‑à‑dire c1 avant l’innovation et c2 après l’innovation. Le surplus social net additionnel par unité de temps correspond à .

La valeur actualisée de l’incitation à innover pour le planificateur à l’instant 0 est représentée par Vs avec un taux d’intérêt r constant : . Tirole considère alors le cas où l’entreprise est en situation de monopole sur le marché du produit et sur celui de la R&D. Son profit par unité de temps est défini par avec pm(c) le prix du monopole, fonction du coût c : . L’incitation à innover du monopole est donnée par et est fonction du profit après innovation par rapport au profit avant innovation :. Quelle que soit la valeur du coût de production, le monopoleur vend son produit à un prix supérieur à ce coût. Mathématiquement, ceci revient à dire que pm (c) > c et implique que l’incitation à innover du monopoleur est toujours inférieure à celle du planificateur social : Vm < Vs. Ce résultat est lié au fait que le prix proposé par le monopoleur entraîne une production inférieure à ce que requiert l’optimum social.

Dans le cas du marché concurrentiel, il est fait référence à un bien homogène. La production est réalisée avec une technologie entraînant un coût marginal c1 qui correspond au prix du marché. Les entreprises sont donc caractérisées par un profit nul. La nouvelle technologie permet au détenteur du brevet d’utilisation de produire le bien avec un coût c2. Le prix de monopole est pm (c2). S’il est inférieur au coût marginal c1, les autres entreprises ne produisent rien, et l’innovation est dite majeure ou drastique. S’il est supérieur au coût marginal c1, les autres entreprises produisent toujours et l’innovation est dite mineure ou non‑drastique. Dans ce cas, on considère qu’il fixe le prix du bien de manière à ce que p = c1. Son profit par unité de temps est Πc = (c1‑c2).D(c1). L’incitation à innover de l’entreprise concurrentielle correspondant à Vc est déterminée par . On considère par hypothèse que le prix proposé par l’innovateur est non‑drastique, c’est‑à‑dire qu’il est supérieur au coût marginal des autres entreprises, mais qu’il n’est jamais supérieur au prix proposé par le monopoleur. Ceci implique que la quantité produite par l’entreprise concurrentielle est supérieure à celle du monopoleur. Elle demeure toutefois inférieure à celle réalisée par le planificateur social pour un coût marginal c1 supérieur au coût c du planificateur. Mathématiquement, ces remarques signifient d’une part que c1 < pm(c2)  pm(c) et que D(c1) > D(pm(c)) pour tout c2  c et d’autre part que D(c1) < D(c) pour tout c2 > c. En fait et Vc < Vs, donc Vs > Vc > Vm. Tirole [1988] a ainsi montré que l’incitation à innover du planificateur social est supérieure à celle de la firme concurrentielle, elle‑même supérieure à celle du monopoleur. Il ressort d’abord de cette conclusion que l’incitation à innover dans une structure de marché monopolistique ou concurrentielle est toujours inférieure à ce qui est socialement désirable. Il apparaît ensuite que l’innovation entraîne un gain plus faible pour le monopoleur que pour l’entreprise concurrentielle.

En effet, l’innovation permet à l’entreprise concurrentielle de devenir un monopole alors qu’elle permet seulement au monopoleur de se succéder à lui‑même. Ceci résulte du fait que puisque le monopoleur obtient un profit du fait de sa situation, les raisons pouvant le pousser à engager des dépenses de R&D sont plus faibles que la recherche du profit de la firme concurrentielle qui était, quant à elle, caractérisée par un profit nul. Ceci définit l’effet de remplacement, mis en évidence par Arrow [1962b]. Ces conclusions sont bien évidemment liées au fait que nous n’avons pas tenu compte des difficultés d’appropriation des résultats de l’innovation. Il est donc concevable que l’incitation à innover du monopoleur puisse devenir supérieure à celle de l’entreprise concurrentielle, si sa capacité à capter les fruits de l’innovation est plus forte.