3.2. La course aux brevets

Dans les modèles de course aux brevets, la compétition porte sur la R&D. Il s’agit d’une course parce que la première firme qui met l’innovation en place obtient un brevet pour protéger cette innovation. La probabilité qu’une firme fasse une découverte et obtienne un brevet à un moment donné dépend de ses dépenses courantes de R&D, mais pas de l’expérience accumulée. C’est une des caractéristiques des modèles de course aux brevets sans mémoire. Reinganum [1984] propose de mettre en avant quelques points fondamentaux de ce type de modèle. Elle précise que « ‘l’objectif de cet article est de couvrir les modèles de théorie des jeux récents sur la recherche et le développement’ » 343 . Elle précise également que les « ‘papiers qu’[elle] va discuter ont été écrits ou publiés au cours des cinq dernières années ; qu’ils ont une large part en commun, s’appuyant sur des hypothèses similaires et se construisant les uns par rapport aux autres’ » 344 . En ce sens, les conclusions présentées par Reinganum permettent d’avoir un aperçu sur les problèmes soulevés par les travaux micro‑économiques sur la R&D à la fin des années soixante‑dix et au début des années quatre‑vingts. Concernant la structure des jeux, Reinganum distingue les deux cas suivants :

La réussite des activités de R&D dépend à la fois de l’effort fourni et des états de la nature. La probabilité pour que la firme i obtienne un brevet, à la suite d’une invention, au moment t suit une fonction exponentielle. La date de succès aléatoire de la firme i est ti. Le hasard est donné par hi : P(ti  t) = 1‑e‑hi.t. La variable stratégique de la firme i est une dépense xi au moment t = 0 qui implique que hi = h(xi). L’espérance de la date de succès est donnée par . La fonction de production de l’innovation h(x) peut avoir des rendements d’échelle croissants ou décroissants. On considère que la protection du brevet est parfaite, que les firmes sont identiques et qu’aucune innovation autre que celle en jeu n’est anticipée. Ce problème est modélisé par un jeu où les participants choisissent leur stratégie en même temps. Les stratégies d’investissement mises en œuvre impliquent un équilibre qui est un équilibre de Nash. La synthèse de Reinganum [1984] liste les conclusions tirées d’une telle représentation.

Le montant investi par une firme diminue quand le nombre de firmes engagées dans la R&D augmente, alors que l’investissement total augmente. Ce résultat est lié au fait qu’une hausse du nombre de firmes réduit le bénéfice anticipé de l’investissement, alors qu’il laisse les coûts anticipés inchangés. Les firmes accordent moins d’importance au fait d’obtenir le brevet, quand le nombre de firmes impliquées dans la R&D augmente. Le moindre intérêt accordé à l’obtention du brevet peut aussi être lié à une imperfection dans la protection du brevet, parce que la diffusion et l’imitation réduisent l’incitation. Il peut enfin être consécutif à des spillovers au sein de l’industrie permettant à une firme de bénéficier au moins partiellement des résultats des investissements des autres firmes. Ces deux cas peuvent se traduire par une relation inverse entre le nombre de firmes et l’investissement total.

Si les firmes définissent leur stratégie en même temps et si la structure est monopolistique, l’ampleur de l’innovation est inversement liée à la probabilité qu’elle soit proposée par une firme dominante. Cette proposition s’explique par le fait qu’une firme dominante qui réalise d’importants profits aujourd’hui accorde moins d’importance à une innovation de grande ampleur que les firmes qui ont des profits plus faibles. Inversement, la firme dominante accorde relativement plus d’importance à une innovation de moindre ampleur que les autres firmes. Aussi, la firme dominante investit moins que les autres firmes quand l’innovation est de grande ampleur et plus quand l’innovation est de moindre ampleur. Une autre conclusion avancée est que l’investissement total en R&D est d’autant plus faible pour une industrie que les revenus actuels des firmes la composant sont importants. Cette situation découle du fait qu’une augmentation du revenu de la firme dominante n’a aucun effet direct sur ceux des autres firmes, mais comme elle implique un taux d’investissement plus faible pour la firme dominante, les autres firmes répondent par une diminution de leurs investissements. Une dernière proposition montre que le taux d’innovation d’une firme décroît quand le nombre anticipé d’innovations possibles augmente. Ce résultat s’explique par le fait que si les firmes anticipent plusieurs innovations, elles accordent moins de valeur à la situation du monopoleur et plus de valeur à la situation du challenger parce que la première n’est pas une situation viable.

Si le monopole joue le premier, dans une structure industrielle où la production d’innovation n’est pas stochastique, il créé les conditions de sa pérennité par l’intermédiaire du montant qu’il alloue à l’obtention de l’innovation. Ce résultat est lié au fait que la valeur de l’innovation est supérieure pour le monopole à celle de l’entrant et correspond à l’effet d’efficience. Comme la concurrence réduit les profits, l’incitation du monopole à rester un monopole est supérieure à l’incitation de l’entrant à devenir un duopoleur. Le monopole est dans la situation du leader de Stackelberg. L’asymétrie temporelle dont il bénéficie lui permet de fixer une enchère égale ou supérieure au profit de duopole qui correspond au prix de réservation de l’entrant. La proposition précédente ne vaut que si la crainte d’une intervention anti‑trust exclut la possibilité de mettre en place des licences d’exploitation ex post. Les licences ex post correspondent à des accords dont l’objectif est de réduire les coûts de production, alors que les licences ex ante apparaissent avant que la phase de recherche ne soit lancée et ont pour but d’économiser les dépenses de R&D. Si les accords de licence ex post sont envisageables, la firme la plus efficiente obtiendra un brevet pour l’innovation, mais rien ne dit que cette firme corresponde à la firme dominante.

Les licences d’exploitation favorisent la recherche, quand les coûts de production des firmes sont relativement proches et la défavorisent dans le cas inverse. Cette proposition nécessite de distinguer deux types d’incitation à accorder des licences pour le détenteur de l’innovation. La première est une incitation ex post et consiste à améliorer l’efficacité dans la production et à capter l’intégralité du marché. La seconde est une incitation ex ante et porte sur le gain consécutif à la diminution du gaspillage des dépenses de R&D ainsi que sur la crainte qu’un concurrent produise avec des coûts plus faibles. En accordant une licence d’exploitation à un concurrent potentiel, la firme dominante rend la R&D de ce concurrent moins attractive. Elle réduit de ce fait les dépenses totales de R&D et la possibilité du concurrent de trouver une technologie permettant de produire avec des coûts plus faibles encore. Ainsi, une incitation ex post importante rend la recherche plus attractive, alors qu’une incitation ex ante importante diminue les gains de la recherche. Aussi, lorsque les coûts de production des firmes sont relativement proches, les incitations ex ante sont plus faibles que les gains issus de la R&D liés aux incitations ex post. L’investissement est ainsi favorisé. Inversement, si les coûts de production des firmes sont suffisamment différents, les incitations ex ante sont fortes et découragent l’investissement.

Notes
343.

« The purpose of this paper is to survey recent game theoretic models of research and development », Reinganum [1984], p. 61.

344.

« The papers I will be discussing have been written or published within the past five years; they have a good deal in common, relaying upon similar assumptions and building upon each other », Reinganum [1984], p. 61.