1.2. Le conventionnalisme en sciences économiques

L’instrumentalisme, ou opérationalisme, assimilé par Latsis [1975] au conventionnalisme est introduit dans l’analyse économique par Pareto en 1909 404 . Il s’est principalement développé au cours des années quarante et cinquante. L’introduction méthodologique de Friedman à ses Essays in Positive Economics de 1953 est particulièrement représentative de l’instrumentalisme. Blaug [1992] souligne la présence de deux thèses distinctes dans le texte de Friedman, l’une portant sur l’hypothèse du réalisme des postulats et l’autre revenant sur les idées présentées par Alchian en 1950 à propos des processus de sélection. Blaug [1992] distingue trois significations différentes cachées derrière la question du réalisme des postulats. Elles font respectivement référence :

Au‑delà de ces interprétations, l’idée de Friedman consiste à dire que « les hypothèses ne jouent pas un grand rôle dans la validation des théories qui devraient être jugées « presque » seulement en fonction de leur aptitude à générer des prédictions exactes » 405 . Blaug [1992] explique que Machlup a prolongé en 1978 406 le discours de Friedman en définissant plusieurs types de postulats. Il distingue les « principes heuristiques », les « postulats de base », les « fictions utiles », les « règles procédurales » et les « postulats‑définitions ». Ceux‑ci sont associés aux « conditions supposées » qui s’appliquent aux problèmes ou aux contextes auxquels une théorie particulière est confrontée. En conclusion, Blaug note qu’ « en bref, l’opinion de Machlup est qu’une théorie n’est jamais totalement discréditée dans des contextes où ses postulats fondamentaux se révèlent faux, tant qu’une meilleure théorie n’a pas été élaborée » 407 .

La discussion de Alchian [1950] porte sur le comportement des entrepreneurs et sur les mécanismes de sélection dynamique. Dans cet article, il insiste sur le passage d’un raisonnement ex ante à un raisonnement ex post, parce que pour lui, les résultats importent plus que les motivations qui ont précédé ces résultats. Il affirme que « les profits positifs réalisés, non les profits maximum, sont la marque du succès et de la viabilité. Il n’est pas important de connaître les processus de raisonnement ou les motivations cachés derrière ces résultats » 408 . En ce sens, Friedman préconise le recours aux énoncés du type « comme si » pour étayer l’analyse des comportements des agents économiques. Il justifie notamment l’hypothèse selon laquelle les entrepreneurs se comportent comme s’ils maximisaient, puisque le résultat obtenu est compatible avec une telle hypothèse et qu’il n’est pas tellement important de connaître les motivations réelles des entrepreneurs. La principale conséquence de ce raisonnement implique que puisque l’analyse économique ne doit pas porter sur le comportement des agents, elle doit s’intéresser aux processus de sélection. Toutefois, en substituant une analyse holiste de la sélection à une analyse micro‑économique traditionnelle de la rationalité, Friedman s’oppose vigoureusement à l’individualisme méthodologique, dont Blaug [1992] rappelle qu’il est pourtant au cœur de l’approche micro‑économique traditionnelle. La question des motivations et des résultats des firmes est reprise dans le troisième chapitre. Nous présentons notamment la critique avancée par Nelson et Winter en 1982 à l’encontre de l’argument de Freeman de 1953 409 .

Notes
404.

Pareto V. [1909], Manuel d’économie politique, Girard, Paris.

405.

Blaug [1992], p. 104.

406.

Machlup F. [1978], Methodology of Economics and Other Social Sciences, Academic Press, New York.

407.

Blaug [1992], p. 95.

408.

« Realized positive profits, not maximum profits, are the mark of success and viability. It does not matter through what process of reasoning or motivation such success was achieved », Alchian [1950], p. 213.

409.

Voir p. 306.