3.2. Le programme de recherche comme outil de comparaison

L’intérêt de la notion de programme de recherche est lié au fait que celui‑ci ne se caractérise pas seulement par les questions et les problèmes qu’il prétend résoudre, mais plus fondamentalement par la manière dont il aborde ces questions et ces problèmes. L’émergence progressive du programme résulte d’une combinaison étroite de problèmes et de méthodes de résolution des problèmes. Nous avons rappelé que la notion de programme de recherche n’a véritablement de sens que lorsqu’elle compare des programmes concurrents. Blaug [1992] souligne que « ‘l’évaluation d’un programme de recherche scientifique ne peut jamais être absolue : les programmes de recherche ne peuvent être jugés qu’en relation avec leurs concurrents cherchant à rendre compte du même type de phénomènes’ » 424 . Néanmoins, une telle démarche n’est pas évidente dans la mesure où les programmes ne portent pas nécessairement leur attention sur les mêmes questions. Par conséquent, il est pratiquement impossible de comparer des programmes sur la seule base des faits nouveaux et d’affirmer qu’un programme prédit les mêmes faits qu’un autre programme, plus des faits que l’autre ne prédit pas, ou même plus modestement qu’un programme prédit plus de faits nouveaux qu’un autre programme.

Cette difficulté se retrouve d’ailleurs dans les travaux de Laudan [1977] 425  [1981] 426 , même si Snowdon, Vane et Wynarczyk [1994] considèrent que sa méthode est plus prometteuse que celle de Lakatos. Basée sur des « traditions de recherche » 427 , définies par leurs éléments métaphysiques et méthodologiques, et non sur des programmes de recherche, elle juge la capacité de résolution des problèmes empiriques et théoriques des différentes traditions. Elle compare le nombre de problèmes résolus par une tradition au nombre de problèmes résolus par les autres traditions. Néanmoins, l’argument de Laudan selon lequel les différentes traditions ont plus de problèmes communs que de problèmes particuliers est largement discutable. Son analyse n’est pertinente que pour certains domaines de l’économie. C’est le cas par exemple de la macro‑économie, caractérisée selon Snowdon, Vane et Wynarczyk [1994] par ‘«’ ‘ la coexistence permanente d’explications rivales concernant les fluctuations du produit, de l’emploi et du niveau des prix’ » 428 . Ce n’est certainement pas le cas des théories de la croissance endogène et des théories évolutionnistes.

Notes
424.

Blaug [1992], p. 224.

425.

Laudan L. [1977], Progress and its Problems : towards a Theory of Scientific Growth, Routledge and Kegan Paul, London.

426.

Laudan L. [1981], « A Problem‑Solving Approach to Scientific Progress », in I. Hacking (ed), Scientific Revolutions, Oxford University Press, Oxford.

427.

« Research traditions ».

428.

« The continuing coexistence of rival explanations of fluctuations in output, employment and the price level », Snowdon ‑ Vane ‑ Wynarczyk [1994], p. 25.