1.1. L’essoufflement de la problématique traditionnelle

L’innovation est depuis longtemps considérée comme l’un des facteurs de la croissance. Cependant, le cadre défini par le modèle de Solow a des difficultés à intégrer les principales caractéristiques de l’innovation. Le modèle de Solow rencontre les deux problèmes suivants :

  • une incapacité à rendre compte de l’absence de rattrapage systématique par les économies en développement des niveaux de croissance des économies industrialisées. Selon la théorie, le capital doit se déplacer des pays riches vers les pays pauvres où la productivité du capital est plus élevée. Les pays les plus pauvres sont donc censés connaître des taux de croissance plus élevés que les pays riches, traduisant ainsi la notion de rattrapage. L’augmentation de l’écart entre les niveaux de croissance entre pays riches et pays pauvres contredit cette proposition ;
  • une difficulté d’ordre théorique et analytique, quand il s’agit de tenir compte explicitement du progrès technologique, alors même qu’il est perçu comme le principal moteur de la croissance. Les limites d’ordre théorique du modèle traditionnel résident surtout dans la représentation du changement technologique proposée, qui accorde un rôle limité aux acteurs privés dans le processus d’innovation. Cela se traduit par une impossibilité à traiter explicitement des politiques publiques, si ce n’est de favoriser la recherche fondamentale.

Nous avons déjà rappelé qu’une action sur le taux de croissance a des conséquences majeures sur le niveau du revenu par tête. D’ailleurs, Barro et Sala‑i‑Martin [1995] rappellent les difficultés à montrer empiriquement et a fortiori à évaluer la causalité entre les dépenses de R&D et la croissance. Ils précisent que « ‘la politique économique peut avoir des conséquences majeures sur les niveaux de vie (...). Corrélativement, la relation entre les politiques économiques et la croissance est un domaine prioritaire ouvert à la recherche économique ’» 450 . Ce point est également mis en avant par Baumol [1991]. Dans son ‘«’ ‘ plaidoyer pour un renouveau de la science économique’ » 451 , il s’interroge sur l’évolution de sa discipline. Après avoir énoncé plusieurs remarques sur les méthodes de recherche et les programmes d’enseignement, il s’intéresse à quelques thèmes d’économie appliquée. Il note : « ‘Prenons le premier thème d’orientation des travaux des économistes, le désir de s’intéresser de nouveau à la richesse des nations. Il est évident que ce sujet est particulièrement important pour les pays en développement, qui ont beaucoup à gagner à ce qu’augmente notre capacité d’apprendre quelles mesures pourraient leur permettre d’atteindre des taux de croissance du revenu par habitant qui les rapprocheraient progressivement des niveaux de vie des pays industriels. (...) Nous avons également vu l’importance de ce sujet pour les pays industrialisés eux‑mêmes, lorsque leurs résultats sont menacés par ceux d’autres nations. (...) Le fait que d’autres pays, qui étaient derrière eux, soient parvenus à des taux de croissance plus élevés que les leurs a également attiré l’attention sur notre connaissance insuffisante des moyens de stimuler efficacement la croissance’ » 452 . Cette citation recouvre un point fondamental pour l’analyse économique de la croissance, au sens où elle définit explicitement ses objectifs. Dans l’esprit de Baumol, ils sont doubles :

  • le premier travail de l’économiste consiste à mettre en avant les relations empiriques entre la croissance et ses déterminants ;
  • le second travail revient à définir un certain nombre d’éléments de politique économique susceptibles d’intervenir sur (les taux de) la croissance économique.

Autrement dit, l’étude de la croissance est perçue comme un moyen consistant à proposer des outils théoriques précis dans le but d’accélérer cette croissance. L’objectif des économistes de la croissance consiste alors à contribuer à l’amélioration réelle de la croissance qu’ils étudient. Ce point n’est pas évident et mérite quelques commentaires, qui sont présentés dans la troisième partie, dans le chapitre consacré à la question des politiques publiques 453 . Néanmoins, avant de proposer des éléments de politique économique susceptibles d’améliorer la croissance, les économistes doivent définir les principales caractéristiques de la croissance proprement dite. De ce point de vue, dans « ‘les déterminants de la croissance’ » 454 , Stern [1991] se réjouit du renouveau de la théorie proposé par Romer et Lucas. Il précise que ces travaux ont pu émerger, après deux décennies de désintérêt, pour les deux raisons suivantes :

  • les progrès enregistrés sur les questions de la connaissance. Il s’agit principalement de la définition de ses caractéristiques, désormais compatibles avec le fonctionnement des marchés. Ces propositions ont été apportées par les théories micro‑économiques concernant l’organisation industrielle, l’invention, l’innovation et le capital humain. Ces différents points sont repris dans la troisième partie ;
  • l’accroissement des données statistiques sur les caractéristiques de la croissance postérieure à la seconde guerre mondiale. Stern précise que « la période de temps est suffisante pour mettre en avant des accélérations et des ralentissements dans les taux de croissance, pour montrer que des cas de croissance peuvent différer fortement sur certains points et pour s’interroger sur la convergence des revenus par tête entre pays » 455 .

Notes
450.

Barro ‑ Sala‑I‑Martin [1995], p. 8.

451.

Titre de la traduction française de l’article.

452.

Baumol [1991], p. 4.

453.

Voir pp. 481 et suivantes.

454.

« The Determinants of Growth », titre de l’article.

455.

« The time period is long enough to reveal accelerations and declines in rates of growth, to show that the growth experiences of different countries can differ in crucial respects, and to ask questions such as whether the incomes per capita of countries will converge », Stern [1991], p. 101.