1.3. Le noyau dur du programme de recherche néoclassique de la croissance

Pour déterminer les éléments du noyau dur du programme de recherche néoclassique de la croissance, nous nous référons principalement à un article proposé par Blaug [2000], intitulé « Endogenous Growth Theory » 476 . L’objectif de Blaug n’est pas de définir les théories de la croissance comme un programme de recherche, mais consiste à présenter de manière critique les théories de la croissance endogène. Cependant, cet article est intéressant pour nous parce qu’il présente les caractéristiques partagées par la théorie de la croissance traditionnelle et par la théorie de la croissance endogène, et les spécificités de la théorie de la croissance endogène. De plus, comme nous allons le voir, les critiques adressées par Blaug à la théorie néoclassique de la croissance portent essentiellement sur ses hypothèses fondamentales, qui correspondent au noyau dur du programme de recherche néoclassique sur la croissance.

Ce noyau dur est défini par trois hypothèses. Cela revient à dire que pour qu’un modèle soit considéré comme un « modèle de croissance néoclassique », il doit s’appuyer sur les trois points suivants :

Nous avons indiqué que la principale différence entre les anciennes théories de la croissance et les nouvelles est liée à l’appréhension implicite des mécanismes de la croissance. Un élément développé par les théories de la croissance endogène, déjà présent dans le modèle de Arrow [1962a], porte sur la présence d’un changement technique généré par le modèle. Comme nous l’avons déjà noté, ce modèle constitue le premier modèle de croissance endogène, même s’il est limité par le fait que « la croissance du produit par tête n’est possible que si la population active augmente » 482 . Les différents modèles de croissance endogène reposent sur des hypothèses secondaires qui leur sont propres. Parmi celles‑ci, et avant de présenter différents modèles dans le détail, nous pouvons en lister plusieurs sur la base de définitions données à la notion de « théorie de la croissance endogène ». Pour Nyssen [1995], le cœur de la croissance repose sur la présence de rendements croissants dans l’accumulation d’un facteur de production reproductible, c’est‑à‑dire d’un facteur dont l’accumulation est volontaire. Gaffard [1994] en résume le principe de la manière suivante : « accumulant du capital K, la firme apprend et acquiert des connaissances qui bénéficient aussi aux autres firmes » 483 . Ce nouvel élément permet d’insister sur l’origine privée des processus de croissance. En d’autres termes, la croissance est la conséquence d’activités ayant bénéficié de ressources propres allouées par les entreprises, mais dont elles ne peuvent en définitive accaparer l’intégralité des effets. Verspagen [1992] souligne que les théories de la croissance endogène reposent sur les relations entre les externalités et les structures de marché. L’OCDE [1992] note, quant à elle, que les théories de la croissance endogène « ‘mettent l’accent sur le rôle des rendements d’échelle, des dépenses de R&D et de la formation de capital humain au niveau de l’économie tout entière et du rôle médiateur de l’investissement dans la diffusion et la promotion du changement technique ’» 484 . De manière similaire, Artus [1993] insiste sur les trois mécanismes suivants :

Pour résumer, les théories de la croissance endogène ont pour objectif d’apporter des explications à la croissance économique, en accordant un rôle central au changement technique et aux choix des individus. Cette définition peut paraître triviale à première vue, mais elle permet de mettre simultanément en avant les axes de recherche des théories de la croissance endogène et leurs différences avec la théorie traditionnelle de la croissance. Cette proposition est d’ailleurs également suggérée par Guellec et Ralle [1995], qui expliquent plus généralement que « ‘les théories de la croissance endogène considèrent la croissance comme un phénomène économique’ » 485 . Finalement, les théories de la croissance endogène s’appuient sur les trois éléments du noyau dur que nous avons précédemment définis. La conjonction du noyau dur et des hypothèses secondaires, réalisée au niveau de la ceinture protectrice, permet de produire les différentes théories réfutables proposées. Ce sont ces hypothèses secondaires et ces théories réfutables qui nous intéressent maintenant. Dans les deux prochains paragraphes, nous proposons d’étudier les théories réfutables s’appuyant sur les différents points que nous venons de mentionner ici. Comme nous l’avons déjà suggéré, deux types de modèles/théories se sont développés, soit autour du capital soit autour de l’innovation. Nous allons présenter les principales contributions pour chacune de ces démarches.

Notes
476.

Ce document de travail est en cours de publication dans l’ouvrage collectif suivant : Snowdon B. ‑ Vane H. [2002] (eds), An Encyclopedia of Macroeconomics, Edward Elgar, Cheltenham.

477.

Voir p. 90.

478.

« The framework of smooth growth without any jumps and discontinuities », Yin ‑ Zuscovitch [2001], p. 11.

479.

Voir p. 55.

480.

Boyer [1992], p. 109.

481.

Abraham‑Frois [1995], p. 540.

482.

Nyssen [1995], p. 40.

483.

Gaffard [1994], p. 139.

484.

OCDE [1992], p. 190.

485.

Guellec ‑ Ralle [1995], p. 40.