3.2. Le modèle d’innovations horizontales de Romer [1990b]

La représentation de l’économie de Romer [1987] s’appuie sur un article de Ethier de 1982 538 . Celui‑ci traite des relations entre les innovations de produits et le commerce international et considère des rendements croissants liés à la spécialisation. En 1990, Romer ([1990b]) propose une nouvelle version plus complexe de son modèle de 1987, et s’appuyant sur le capital humain. Il concède cependant lui‑même que « ce concept de capital humain est plus limité que celui utilisé dans les modèles théoriques de croissance basés sur l’accumulation sans limite de ce facteur » 539 . C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous ne considérons pas ce modèle comme faisant partie du premier type de théories de la croissance endogène et que nous préférons le considérer comme un des piliers des modèles avec innovation. L’originalité du modèle ne résulte pas de prise en compte du capital humain, mais de la définition particulière de la technologie. Celle‑ci a un statut intermédiaire entre les biens privés et les biens publics et correspond à un bien non‑rival partiellement exclusif. Aussi, la production des innovations technologiques diffère de celle des biens privés. Romer [1990b] explique qu’ « une fois que le coût de développement d’un nouvel ensemble d’instructions a été supporté, celles‑ci peuvent être réutilisées sans limite à coût additionnel nul » 540 . Cette caractéristique distingue d’ailleurs le capital humain des connaissances, car le capital humain est un bien divisible. Le modèle insiste sur la capacité de l’économie à produire de nouvelles variétés de biens capitaux. Gaffard [1994] indique que l’accroissement des biens de production illustre le renforcement de la division sociale du travail qui est à l’origine de la croissance économique. La production des biens associe à la fois les caractéristiques appropriables et non‑rivales de la connaissance technologique. Elle peut croître sans limite et, puisque chaque nouvelle connaissance correspond à un bien nouveau, la mesure cardinale des connaissances non‑rivales correspond au nombre de biens.

L’économie comprend trois activités :

La population est définie par un certain nombre de restrictions. L’offre de travail (L) et le stock disponible de capital humain (H) sont fixes. Ce dernier est partagé entre la recherche (HA) et la production finale (HY). Les détenteurs de capital humain se répartissent entre la recherche et la production du bien final en considérant le stock de la connaissance, le prix des innovations et le taux de salaire dans le secteur du bien final comme donnés. Comme le chercheur j est supposé avoir accès à l’ensemble des connaissances (A), sa production est donnée par δ.Hj.A, où δ est un paramètre de productivité. Le processus d’accumulation des nouveaux types de biens d’équipement correspond à . Romer signale que cette relation signifie notamment que la productivité d’un chercheur croît lorsque le stock de connaissances augmente. Elle implique aussi une hypothèse de linéarité en HA (en A) quand A (quand HA) est fixé. La linéarité en A est importante parce qu’en son absence, la productivité de la recherche serait décroissante, ce qui conduirait le capital humain à se déplacer vers la production du bien final. La croissance serait alors ralentie.

Les biens intermédiaires correspondent à xi, avec i = 1, ..., N, et où N est le nombre de biens disponibles. La fonction de production finale s’écrit , puis en supposant que les biens i appartiennent à une suite continue, . Les prix de tous les biens sont mesurés en unités de produit final. Comme ce dernier peut être utilisé indifféremment comme bien de consommation ou comme bien d’investissement, le capital s’échange contre une unité de bien final. Autrement dit, le prix du capital est égal à 1 et son taux de rendement r correspond au taux d’intérêt sur les prêts libellés en biens. En notant PA le prix de la conception d’un nouveau bien d’équipement et wH le taux de rémunération par unité de capital humain, on écrit wH = PA . δA. Les firmes sont preneuses de prix pour les nouveaux biens, le capital et le taux d’intérêt, mais elles choisissent le prix du bien d’équipement qu’elles produisent. On suppose que p(i) est infini quand aucune firme ne produit le bien. En fait, les producteurs des biens d’équipement maximisent leur profit, une fois que la firme représentative du secteur du bien final a déterminé les quantités x(i) qu’elle utilise. Celle‑ci maximise la demande agrégée pour les biens d’équipement :. En différenciant, on obtient la fonction de demande inverse . Elle détermine dans le même temps, les niveaux de travail et de capital humain qui lui sont nécessaires. La demande du secteur du bien final pour chaque bien d’équipement étant définie, les firmes du secteur des biens d’équipement maximisent leur profit. Les coûts de production pour ces firmes sont déterminés par les quantités produites, par le prix des unités de production épargnées pour fabriquer une unité de bien d’équipement (η) et par les intérêts sur ces unités. Le programme s’écrit Max π =  p(x)x ‑ rηx = ‑ rηx. Le profit de monopole correspond à , oùreprésente la quantité dans la fonction de demande inverse pour . La production d’un nouveau bien est étudiée en comparant les revenus futurs et le coût initial PA du brevet issu de la recherche. Comme ce secteur est concurrentiel, PA correspond à la valeur actualisée des revenus futurs nets du monopole producteur du bien. En supposant que PA est constant, on écrit π(t) = r(t) PA. Les consommateurs sont caractérisés par des préférences à élasticité constante avec σ ≥ 0.

L’équilibre économique n’étant pas une hypothèse, mais la règle, le but du modèle est justement de chercher un équilibre où les variables agrégées croissent à un taux constant, correspondant à « une solution de croissance équilibrée ». L’objectif n’est pas simplement de montrer l’existence de la croissance équilibrée, mais de l’admettre, dans un premier temps, puis d’en définir précisément les caractéristiques, dans un second temps, en insistant sur son contenu économique. Dans leur modèle de diffusion technologique, Silverberg, Dosi et Orsenigo [1988] insistent également sur ce point et précisent qu’ « ‘il est intéressant de souligner la différence entre (leur) approche et les conceptualisations théoriques standards de la concurrence. Cette dernière identifie généralement les circonstances pour lesquelles aucune modification concurrentielle ou aucun profit ne peuvent être réalisés (impossibilité d’arbitrage, taux de profit uniforme, etc.) et suppose alors que le système doit toujours être dans ou près de cet état’ » 541 .

Comme la source de la croissance économique correspond aux externalités de l’accumulation de la connaissance, la détermination des caractéristiques de cette accumulation définit les conditions de la croissance équilibrée. La démarche de Romer [1990] consiste à déterminer d’abord ces conditions et à montrer ensuite qu’elles sont cohérentes avec les conditions d’équilibre. Ces dernières concernent le comportement des agents et le fonctionnement du marché des biens. La solution de croissance équilibrée de ce modèle passe par la détermination du taux de croissance et du taux d’intérêt. Elle se fait en associant la relation entre la croissance du produit et le taux de rendement, à la relation entre le taux d’intérêt et le taux de croissance lié au comportement des consommateurs. Romer souligne que le long du sentier de croissance équilibrée, le rapport entre le capital et le stock de connaissances est constant, ce qui implique la constance de . La rémunération du capital humain est une fonction croissante de l’accumulation des connaissances, et puisque la productivité du capital humain est la même dans la recherche et dans le secteur du bien final, le rapport entre HY et HA est constant. L’objectif est de montrer que le stock de connaissances croît à un taux constant, et avec lui toutes les variables agrégées du modèle. Romer s’intéresse au nombre de biens d’équipement existant et employés en t, noté A(t). Comme les quantités produites correspondent à , le produit A(t)représente le capital total divisé par une unité de bien d’équipement (η). Or, puisque est constant, A croît à un taux constant. Plus précisément, on écrit . Une fois cette démonstration acquise, on montre que . Ce modèle illustre l’idée selon laquelle les théories de la croissance endogène présentent effectivement la même caractéristique que les « anciennes » théories néoclassiques de la croissance : la construction de nouvelles théories à partir des acquis des théories les précédant. Nous avons également indiqué que la démarche de l’analyse néoclassique consiste à introduire en permanence de nouvelles sophistications dans les modèles. Une fois admise l’idée que la croissance peut être générée par les variables endogènes du modèle, les travaux sur la croissance endogène s’attachent alors à enrichir le contenu économique de ces sources.

Notes
538.

Ethier W. [1982], « National and International Returns to Scale in the Modern Theory of International Trade », American Economic Review, vol. 72, pp. 41‑47.

539.

Romer [1990b], p. 9.

540.

Romer [1990b], p. 2.

541.

« It is worth emphasising the difference between our approach and standard theoretical conceptualizations of competition. The latter generally identify the circumstances under which no relative competitive shifts or profits can be realized (impossibility of arbitrage, uniform rate of profit, etc.) and then assume that the system must always be in or near this state », Silverberg ‑ Dosi ‑ Orsenigo [1988], p. 1037.