4.1. De plus en plus d’explications « endogènes » de la croissance

Dans une critique des théories de la croissance endogène, Lacoude [1995] affirme que ‘«’ ‘ la distinction entre phénomènes endogènes et exogènes provient de la structure des modèles mathématiques censés décrire la réalité. Certains modèles comportent des paramètres fixant la tendance du progrès technique, d’autres pas. Dans ces derniers, le progrès technique n’est pas donné a priori, il est causé par des facteurs explicites du modèle ’» 567 . Même si la croissance dans ces modèles n’est pas uniquement liée au progrès technique, la distinction entre endogène et exogène est pertinente, en ce qu’elle insiste sur le fait que la distinction relève des caractéristiques techniques des modèles et non pas de l’origine des phénomènes réels. En réalité, la notion de « croissance endogène » est systématiquement assimilée à la « théorie de la croissance endogène ». Cependant, une remarque doit être formulée sur la répercussion, pour les théories évolutionnistes, du contenu traditionnel reconnu à cette terminologie. Notons tout d’abord que les théories évolutionnistes ne disputent pas l’utilisation du terme général de « croissance » aux théories de la croissance endogène et lui préfèrent souvent le terme de « dynamique » ou de « développement ». Ce n’est pas un hasard et les raisons sont évoquées dans la troisième partie, notamment lorsque nous nous intéressons à la démarche de Schumpeter 568 . En 1994, Dosi, Freeman et Fabiani expliquent également qu’ils adhèrent à la distinction proposée par Nelson [1994a] selon laquelle « la « croissance » est la représentation de la dynamique économique dans laquelle « les choses deviennent simplement plus grandes, plus petites ou gardent la même taille », alors qu’ « en développement, des changements qualitatifs ont également lieu » » 569 . Ensuite et par contre, les économistes évolutionnistes insistent souvent sur la nature endogène de la croissance économique dans leurs modèles et sur la capacité de ces derniers à reproduire (au moins) les conclusions néoclassiques. Cet aspect apparaît en filigrane tout au long de la section consacrée aux modèles évolutionnistes de croissance 570 . Finalement, les discussions autour des qualificatifs d’ « exogène » ou d’ « endogène » sont d’un intérêt limité. Au contraire, celles qui portent sur la nature et le comportement des variables endogènes, responsables de la croissance, sont essentielles. Ce point s’accorde d’ailleurs avec le fait que la croissance d’origine endogène n’est pas un problème nouveau. Cette question est abordée ultérieurement dans cette section.

Une remarque s’impose préalablement sur le développement de travaux sur la croissance endogène, qui ne portent nullement sur le progrès technique ou l’investissement en capital. Ces travaux correspondent, par exemple, aux tentatives d’endogénéisation des intermédiaires financiers. Les travaux de Artus constituent un exemple représentatif de ces travaux macro‑économiques. Le sixième chapitre de son ouvrage Théorie de la croissance et des fluctuations, publié en 1993, est précisément consacré à rendre compte des relations entre l’accès au capital et le taux de croissance. Il porte plus particulièrement sur le rôle des banques et des marchés financiers sur la croissance. La question du lien entre le développement financier et la croissance économique a donné lieu à de nombreux travaux. Parmi ceux‑ci, on peut noter les articles plus récents de Levine [1997] 571 , Temple [1999] 572 et Levine, Loayza et Beck [2000] 573 . L’élargissement de la problématique illustre la volonté de plus en plus forte d’endogénéiser les variables déterminantes dans les modèles macro‑économiques en général. La motivation découle certainement de l’exemple des théories de la croissance endogène et des développements de la formalisation mathématique. Toutefois, cet enrichissement montre également la capacité de l’analyse néoclassique à construire de nouveaux modèles autour de quelques articles centraux. Cet aspect correspond à la démarche des théories de la croissance endogène, que nous avons antérieurement définie, à savoir une recherche d’ordre technique pour générer de la croissance dans les modèles et une volonté d’ordre thématique d’intégrer de nouvelles questions dans les modèles de croissance. Dans le cas des intermédiaires financiers, il s’agit évidemment de faire coïncider les travaux sur la croissance avec les principales caractéristiques économiques de ces intermédiaires.

Notes
567.

Lacoude [1995], p. 591.

568.

Voir pp. 275 et suivantes.

569.

« « Growth » is that idealization of economic dynamics in which « things simply get bigger or smaller or stay the same size », while « in development, a lot of qualitative changes are also happening » », Dosi ‑ Freeman ‑ Fabiani [1994], p. 1.

570.

Cette question est abordée par exemple p. 287 et p. 303.

571.

Levine R. [1997], « Financial Development and Economic Growth: Views and Agenda », Journal of Economic Literature, vol. 35, no. 2, June, pp. 688‑726.

572.

Temple J. [1999], « The New Growth Evidence », Journal of Economic Literature, vol. 37, no. 1, March, pp. 112‑156.

573.

Levine R. ‑ Loayza N. ‑ Beck T. [2000], « Financial Intermediation and Growth: Causality and Causes », Journal of Monetary Economics, vol. 46, no. 1, August, pp. 31‑77.