4.2. Des hypothèses particulières pour la croissance

Gaffard [1994] rappelle que Solow [1992] 574 montre que la croissance du revenu peut être nulle dans le modèle de base de Aghion et Howitt. Pour cela, il suffit de considérer que les innovations accroissent le paramètre de productivité du bien intermédiaire A non pas d’un facteur γ > 1 constant, mais d’un montant constant γ > 1, autrement dit, si l’on suppose non pas que At = A0 γ, mais que At = A0 + γ. De ce point de vue, la croissance d’origine endogène est une hypothèse et non un résultat. C’est d’ailleurs un des points soulignés par Amable, Boyer et Lordon [1995] qui notent « que les fonctions de production propres à la croissance endogène possèdent des caractéristiques qui ne sont pas non plus dérivées de niveaux théoriques plus élevés, et qu’elles encourent l’accusation d’ad hoc sur ce qui les distingue au sein du corpus théorique orthodoxe : le caractère endogène de la croissance ou du changement technique » 575 . Dans un autre article, Solow [1994] précise que « la modélisation de la concurrence imparfaite a été rendue nécessaire par la présence de rendements d’échelle croissants » 576 . Cependant, il précise que la présence de tels rendements n’est pas au cœur des nouveaux modèles de croissance. Il note : « ce qui est essentiel c’est l’hypothèse de rendements du capital constants. La présence de rendements d’échelle croissants est alors inévitable, parce que sinon, l’hypothèse de rendements du capital constants impliquerait une productivité négative pour les facteurs non‑capitaux » 577 .

Un exemple de la particularité technique des théories de la croissance endogène est donné par le modèle de Rebelo [1991] 578 , dans lequel la croissance découle de la productivité constante des facteurs de production, supposés complémentaires. La production est définie par l’équation Y=AK, où A représente le niveau de la technologie. K correspond au capital, entendu au sens large. Autrement dit, il englobe à la fois du capital physique et du capital humain et s’apparente à un facteur reproductible. La production se fait à rendements constants. En note de bas de page et sans apporter plus de commentaires, Barro et Sala‑i‑Martin [1995] soulignent que Knight envisageait, dès 1944 579 , la possibilité de rendements non‑décroissants pour une conception élargie du capital. Le produit par tête correspond à y = Ak, sachant que les produits moyen et marginal du capital sont constants pour A > 0. L’investissement global est donné par , donc le taux de croissance de l’économie est et représente un taux constant, défini par les comportements d’épargne et par la productivité marginale du capital. Toutes les variables par tête croissent au même taux. L’endogénisation de l’épargne des agents a une implication intéressante. Guellec et Ralle [1995] montrent le renversement du lien de causalité entre la productivité marginale du capital et l’épargne, par rapport au modèle de Solow.

Plus précisément :

Ce modèle simple présente un intérêt différent pour les économistes. En relâchant l’hypothèse de rendements décroissants et en la remplaçant par l’hypothèse de rendements constants, il peut générer une croissance du revenu, alors qu’il n’intègre pas de changement technique exogène. Ce sont justement ces particularités qui entraînent des discussions. Ainsi :

Ces deux remarques illustrent la double nature, déjà mentionnée, des théories de la croissance endogène. On retrouve ici à la fois la volonté de dépasser techniquement les limites du modèle traditionnel de croissance et le souhait de rendre compte des effets « réels » de l’innovation et du progrès technique sur la croissance. Dans le cas du modèle AK de Rebelo, les deux objectifs sont évidemment inconciliables. Notons enfin, comme Nyssen [1995] que l’absence d’externalités réconcilie optimum social et optimum économique.

Notes
574.

Solow R. [1992], « Siena Lectures on Endogenous Growth Theory », Universita degli Studi di Siena, dipartimento di Economia Politica.

575.

Amable ‑ Boyer ‑ Lordon [1995], p. 280.

576.

« The modeling of imperfect competition was made necessary by the appearance of increasing returns to scale », Solow [1994], p. 49.

577.

« What is essential is the assumption of constant returns to capital. The presence of increasing returns to scale is then inevitable, because otherwise the assumption of constant returns to capital would imply negative marginal productivity for non‑capital factors », Solow [1994], p. 49.

578.

Rebelo S. [1991], « Long‑Run Policy Analysis and Long‑Run Growth », Journal of Political Economy, vol. 99, no. 3, June, pp. 500‑521.

579.

Knight F. [1944], « Diminishing Returns from Investment », Journal of Political Economy, vol. 52, no. 2, April, pp. 26‑47.

580.

Barro ‑ Sala‑I‑Martin [1995], p. 44.

581.

Guellec ‑ Ralle [1995], p. 43.