4.3. Une description singulière des agents économiques

Dans le cas de la théorie de la croissance endogène, le recours à la formalisation passe également par des hypothèses particulières sur le comportement et la taille des agents. L’introduction de l’agent représentatif dans les modèles de croissance permet de simplifier la formalisation théorique. L’intégration de cette notion s’appuie sur le fait que les théories de la croissance endogène considèrent des comportements endogènes, alors que « les courants de la synthèse ont en commun de prendre les comportements comme des données exogènes » 582 . Dosi [2000] explique que deux alternatives aux modèles de croissance agrégés s’opposent. La première correspond à « l’alternative dominante [qui] s’est une nouvelle fois révélée être construite sur des fondements micro‑économiques toujours plus sophistiqués, et totalement mythiques, d’un « agent représentatif » (ou de variations autour de lui, telles celles de la dynamique des générations imbriquées) » 583 . La seconde définit « les tentatives alternatives basées sur des fondements micro‑économiques construites à partir de racines « évolutionnistes » plus ou moins explicites, avec des agents hétérogènes qui apprennent et une croissance issue des avancées techniques générées de manière endogène » 584 .

Quelques remarques succinctes s’imposent sur le contenu du concept de l’agent représentatif. Son efficacité est indéniable, mais force est de constater aussi, que sa signification économique est parfois difficile à cerner. Notre propos n’est pas ici de rejeter une des hypothèses de travail employée régulièrement depuis le développement de la « nouvelle économie classique ». Un tel dessein ne s’accorderait pas avec notre démarche, et de surcroît, il est manifeste que les critiques faites sur le contenu de l’agent représentatif n’ont pas réussi à le faire disparaître de la modélisation. Nous souhaitons simplement rappeler quelques unes des interrogations posées autour de cette notion, d’autant qu’elles sont posées par des économistes qui y ont recours. Ainsi, Aghion et Howitt [1998] précisent que « la remise en cause de la notion d’agent représentatif permettrait également à ces modèles [de croissance endogène] d’incorporer la dimension politique de la « destruction créatrice » » 585 . Ils expliquent que les questions de répartition sont une tentative qui va dans ce sens. Dans ses réflexions pour comprendre « qui ou que représente l’agent représentatif ? » 586 , Kirman [1992] pointe que « les raisons de l’utilisation large de l’agent représentatif sont liées au souci de trouver des fondements micro‑économiques au comportement agrégé, ainsi que de proposer un cadre dans lequel les équilibres soient stables et uniques » 587 . Gaffard [1990] affirme que cette manière de traiter les problèmes macro‑économiques à partir du comportement des agents implique que « la macro‑économie est en quelque sorte absorbée dans la micro‑économie » 588 . D’un strict point de vue de la logique interne, Kirman précise que l’emploi d’un agent représentatif est limité par le fait que de nombreuses politiques économiques ont pour objectif d’affecter différemment les individus. L’homogénéité des agents ne peut donc plus être la règle, une fois qu’une politique de ce type a été mise en place et si elle a atteint ses buts. D’un point de vue externe cette fois, Kirman rappelle également que Grandmont [1987] 589 a montré que l’hétérogénéité des agents pouvait être le garant de la stabilité, contrairement à l’idée généralement partagée.

Notes
582.

Arena ‑ D. Torre [1992], pp. 23‑24.

583.

« The dominant one turned out, again, to build a microfoundation of some sort upon an increasingly sophisticated, and utterly mythical, « representative agent » (or variations thereupon, such as those with overlapping generations dynamics », Dosi [2000], p. 7.

584.

« Alternative microfounding endeavours build on more or less « evolutionary » roots, with heterogeneous learning agents and growth fuelled by endogenously generated technological advances », Dosi [2000], p. 7.

585.

Aghion ‑ Howitt [1998], p. 71.

586.

« Whom or What Does the Representative Individual Represent? » titre de l’article.

587.

Kirman [1992], p. 7.

588.

Gaffard [1990], p. 376.

589.

Grandmont J. M. [1987], « Distributions of Preferences and the Law of Demand », Econometrica, vol. 55, no 1, January, pp. 155‑162.