Les travaux évolutionnistes se réfèrent en permanence à Schumpeter, mais ce recours n’est pas suffisant : pour revendiquer le qualitatif d’évolutionnisme, les travaux doivent se référer de surcroît aux analogies biologiques. Le recours aux analogies biologiques dans l’analyse économique évolutionniste est essentielle et constitue la raison d’être de l’évolutionnisme contemporain. Autrement dit, ce sont elles qui justifient l’existence d’un programme de recherche évolutionniste. En ce sens, le fait de savoir si Schumpeter est ou n’est pas le père de l’évolutionnisme contemporain est lié à l’utilisation qu’il fait ou non des analogies avec la biologie. Cette relation apparaît implicitement dans les travaux de Hodgson, pour qui, le fait de ne pas considérer Schumpeter comme le père de l’évolutionnisme contemporain est indissociable du fait de montrer l’absence d’analogie biologique dans ses travaux. A ce titre, Hodgson [1993] note que « ‘l’évocation du nom de Schumpeter par les nouveaux évolutionnistes au cours des années quatre‑vingts et quatre‑vingt‑dix est à la fois mal conduite et mal perçue ’» 649 et ajoute qu’ « ‘à la différence de Schumpeter, la tâche des nouveaux évolutionnistes est basée sur une analogie avec la ’ ‘«’ ‘ sélection naturelle ’ ‘»’ ‘ de type darwinien ou lamarckien ’» 650 . Ces arguments sont repris dans « The Evolutionary and Non‑Darwinian Economics of Joseph Schumpeter » dans lequel Hodgson [1997] montre que « Schumpeter rejette explicitement les analogies et métaphores biologiques en économie » 651 , ce qui ne remet pas en cause le fait que « Schumpeter fut un grand économiste évolutionniste » 652 . Dans leur appréciation des « thèmes évolutionnistes dans la tradition autrichienne » 653 , Arena et Gloria‑Palermo [2001] s’intéressent à la manière dont Menger, Wieser et Schumpeter abordent la question de l’émergence des institutions ou des organisations. Ils indiquent que ces trois auteurs ont participé à l’élaboration de la « révolution marginaliste » tout en s’intéressant à « la question de la caractérisation d’un processus dans lequel différents groupes d’agents associés à différents types de rationalité économique interagissent, créent et ainsi renforcent une institution » 654 . Ils expliquent, en parlant de Schumpeter que « cette manière de présenter l’émergence des institutions a indubitablement un aspect évolutionniste. Cependant, le terme « évolution » ne correspond pas ici à ses définitions lamarckiennes ou darwiniennes. (…) L’évolution schumpeterienne est davantage historique que biologique » 655 .
Une remarque formulée par Foster [2000] va dans le même sens que les commentaires de Hodgson, en ce qu’elle souligne que les évolutionnistes ont construit leurs théories en ayant recours à l’analogie biologique, contrairement à Schumpeter. Dans un article plus récent, Foster [2001] voit une double démarcation entre les travaux de Schumpeter et les théories évolutionnistes. Il explique qu’ « il est frappant de voir que dans la tradition appelée néo‑schumpeterienne, les économistes évolutionnistes utilisent l’analogie biologique et les mathématiques dynamiques, toutes deux évitées par Joseph Schumpeter dans ses représentations du développement économique » 656 . Plus loin, il note encore que « bien que les néo‑schumpeteriens aient adopté l’analogie biologique dans leur discussion sur la concurrence, l’influence de Schumpeter est restée forte, garantissant que la concurrence a été étudiée comme un phénomène économique unique » 657 . Pour Foster, la question de la place de l’analogie biologique chez Schumpeter et dans l’évolutionnisme contemporain est plus qu’un point de l’histoire de la pensée économique. Son idée est en effet de privilégier l’approche de l’ « auto‑organisation ». Il explique notamment que « l’approche de l’auto‑organisation est actuellement dans un processus d’intégration avec la sélection naturelle afin de définir une « nouvelle » biologie évolutionniste » 658 . Dans le même temps, il déplore que l’économie évolutionniste ne montre que peu de signes allant dans ce sens. Parmi ces derniers, il note la contribution de Silverberg, Dosi et Orsenigo de 1988, présentée plus loin 659 , et l’ouvrage de Metcalfe de 1998. Encore une fois, il convient de souligner un commentaire de Foster sur ce qui ne sont que les balbutiements d’un nouvel axe de recherche au sein du programme de recherche évolutionniste. Il écrit : « nous devrions considérer le modèle de Metcalfe [1998] comme le début seulement d’une quête pour la découverte d’une caractérisation générale de l’auto‑organisation économique au sein de laquelle les processus de création, de coopération et de concurrence peuvent être analysés. Pour commencer cette quête, nous n’avons pas à chercher au‑delà des indications de Joseph Schumpeter » 660 . Pour cette raison, nous abordons la question de la place de ces travaux dans l’évolutionnisme à la fin de ce chapitre, lorsque nous présentons les arguments en faveur d’une représentation plus formalisée des idées évolutionnistes 661 .
« The invocation of Schumpeter’s name by the new wave of evolutionary theorists in the 1980s and 1990s is both misleading and mistaken », Hodgson [1993], p. 149.
« In contrast to Schumpeter, the work of the new evolutionary modelers is based on a « natural selection » analogy, of a Darwinian or of a Lamarckian kind », Hodgson [1993], p. 149.
« Schumpeter explicitly rejected biological metaphors and analogies in economics », Hodgson [1997], p. 131.
« Schumpeter is one of the greatest contributors to evolutionary economics », Hodgson [1997], p. 141.
« Evolutionary Themes in the Austrian Tradition », titre partiel de l’article.
« The question of the characterization of a process in which different groups of agents associated with different types of economic rationality interact, create and, then, reinforce an institution », Arena ‑ Gloria‑Palermo [2001], p. 134.
« This way of presenting the emergence of institutions has undoubtedly an evolutionary flavour. However, the term « evolution » does not correspond here to its Lamarckian or Darwinian definitions. (…) Schumpeterian evolution is more historically than biologically oriented », Arena ‑ Gloria‑Palermo [2001], p. 146.
« It is striking that in this so‑called neo‑Schumpeterian tradition, evolutionary economists use biological analogy and dynamical mathematics, both eschewed by Joseph Schumpeter in his representations of economic development », Foster [2001], p. 121.
« Although neo‑Schumpeterians have espoused biological analogy in their discussions of competition, the influence of Schumpeter has remained strong, ensuring that competition has been studied as a unique economic phenomenon », Foster [2001], p. 122.
« The self‑oranisation approach is in the process of being integrated with natural selection to define a « new » evolutionary biology », Foster [2000], pp. 323‑324.
Voir pp. 327 et suivantes.
« We should look upon the Metcalfe [1998] model as only a beginning in the quest to discover a general characterization of economic self‑organisation within which creative, cooperative and competitive processes can be analysed. To begin this quest, we need look no further than the remarkable insights of Joseph Schumpeter », Foster [2000], p. 327.
Voir pp. 349 et suivantes.