2.4. Introduction du crédit et cycles et mouvements de longue période

L’entrepreneur a pour rôle de proposer de nouvelles combinaisons des facteurs de production « en réaménageant les prestations de travail et de ressources, il doit pour cela faire appel au crédit parce qu’il ne trouve pas les moyens d’acheter dans le circuit statique ; et le crédit qui exige l’intérêt, permet le capital qui apporte le profit sur lequel le montant de l’intérêt sera prélevé » 686 . L’entrepreneur a besoin du crédit parce qu’il n’a pas de recettes stockées. C’est le seul agent économique à avoir besoin du crédit parce que les exploitants du circuit ont des méthodes de production efficientes et n’ont de ce fait aucune raison ‑ et aucune volonté ‑ de proposer de nouvelles combinaisons des facteurs de production. Ils n’ont par conséquent pas besoin de crédit. Le crédit créé par la banque pour l’entrepreneur permet à ce dernier de détourner les moyens de production dont il a besoin. Ainsi, « l’octroi de crédit provoque un nouveau mode d’emploi des prestations productives présentes au moyen d’un déplacement préalable du pouvoir d’achat dans l’économie nationale » 687 . Le crédit est créé ex nihilo par la banque, car il n’existe pas d’épargne dans le circuit statique. L’entrepreneur est relié au monde des biens par l’intermédiaire du capital. Celui‑ci représente « le moyen de se procurer des biens » 688 . Il est la condition préalable à la production parce qu’ « il ne prend pas part immédiatement à la production, (...) [mais] remplit plutôt une tâche qui doit être terminée avant que la production technique puisse commencer » 689 . Gaffard [1994] souligne la conception autrichienne du capital dans la dynamique schumpeterienne avec une « dimension essentiellement temporelle des processus de production » 690 .

Les cycles économiques, mis en évidence par Schumpeter en 1939, sont le résultat des interactions entre les innovations et la création de crédit que ces innovations impliquent. Le pouvoir d’achat supplémentaire lié au crédit accordé par les banques aux innovateurs modifie la situation économique et engendre les cycles. Schumpeter propose d’abord la « première approximation » qui correspond à un cycle à deux phases : prospérité et récession. Au début de la première phase, l’économie est proche de l’équilibre. Comme il est aisé d’anticiper coûts et recettes futurs avec exactitude, le risque d’échec est faible et par conséquent le taux d’innovation est élevé. Ceci justifie l’apparition en grappes des innovations. Les entrepreneurs obtiennent des crédits pour réaliser leurs innovations. Ce pouvoir d’achat supplémentaire a pour effet d’augmenter les prix et les revenus des firmes anciennes qui proposent la même quantité de biens face à une demande plus élevée. Les entrepreneurs présentent ensuite leurs biens sur le marché, ce qui entraîne une baisse des prix. Ceci correspond au schéma de l’action du crédit où se succèdent pouvoir d’achat supplémentaire, inflation temporaire de crédit, expansion, déflation et compensation. Les innovations sont imitées par les firmes anciennes, écartant l’économie de sa position d’équilibre. Le risque d’échec croît et le taux d’innovation décroît. L’économie connaît alors la récession et se dirige vers une nouvelle position d’équilibre, caractérisée par de nouvelles fonctions de production, un produit plus élevé et de structure différente et un niveau des prix plus faible.

La prise en compte d’effets psychologiques de la part des firmes anciennes permet de faire apparaître la « deuxième approximation » de Schumpeter, correspondant au cycle à quatre phases : prospérité, récession, dépression et reprise. Les innovations vont faire réagir les firmes anciennes qui vont, d’une part, anticiper l’augmentation de la demande et, d’autre part, spéculer sur la durée de cette augmentation. Comme ces comportements sont exagérément optimistes ou pessimistes, ils accentuent la liquidation correspondant à la déflation‑compensation évoquée précédemment. Ceci conduit l’économie non pas directement vers une nouvelle situation d’équilibre, mais d’abord vers une phase de dépression, puis vers une nouvelle situation d’équilibre. La « troisième approximation » proposée par Schumpeter correspond à un schéma à trois cycles. Elle s’appuie sur une conviction, définie ainsi : « il existe de nombreuses raisons pour supposer que le schéma activera un nombre infini de vagues comme les fluctuations qui se dérouleront et interféreront lors du processus » 691 . L’analyse associe les cycles Kondratieff, Juglar et Kitchin. La prise en compte de plusieurs cycles pose en réalité « un seul problème d’interférence et non un problème lié à des causalités différentes » 692 . L’innovation est à l’origine de ces trois cycles et par conséquent, « c’est le même phénomène et le même mécanisme qui est observé dans chacun des cycles » 693 . Schumpeter montre que chaque cycle Kondratieff est composé d’un nombre entier de cycles Juglar, eux‑mêmes composés d’un nombre entier de cycles Kitchin. Ses travaux empiriques font apparaître une durée moyenne de respectivement 60 ans, 10 ans et 40 mois pour les cycles Kondratieff, Juglar et Kitchin. Dans la dernière partie, nous présentons l’application de cette analyse des cycles aux technologies de l’information et de la communication telle que la proposent Freeman [1987] et Freeman et Soete [1997] 694 .

Notes
686.

Barrère [1985], p. 99.

687.

Schumpeter [1926], p. 156.

688.

Schumpeter [1926], p. 167.

689.

Schumpeter [1926], p. 167.

690.

Gaffard [1994], p. 45.

691.

« There are many reasons to expect that it will set into motion an indefinite number of waves like fluctuations which will roll on simultaneous and interfere with one another in the process », Schumpeter [1939], p. 161.

692.

« A problem of interference only and not (...) a problem of different causation », Schumpeter [1939], p. 171.

693.

« It is the same phenomenon and the same mechanism we observe in all of them », Schumpeter [1939], p. 172.

694.

Voir p. 451.