3.1. Modèles de croissance ou modèles de diffusion ?

Les modèles recensés par Nelson [1995] proposent au moins trois problématiques, insistant à chaque fois sur une des hypothèses proposées par Nelson et Winter en 1982. Ainsi :

  • Soete et Turner en 1984, Metcalfe en 1988 698 et 1992 699 et Metcalfe et Gibbons en 1989 700 étudient un ensemble fini de technologies qui peuvent être améliorées en permanence. Les firmes cherchent à adopter les technologies les plus efficaces au détriment des moins efficaces. L’accent est mis à la fois sur la diffusion des technologies et sur les améliorations propres à chaque technologie. La mesure du progrès technique au niveau agrégé dépend de ces deux aspects ;
  • Silverberg, Dosi et Orsenigo en 1988 se focalisent sur l’existence de seulement deux technologies, dont l’une est « potentiellement » supérieure à l’autre, mais dont le potentiel ne peut être révélé qu’avec une amélioration des pratiques en place ;
  • Chiaromonte et Dosi en 1993 701 , Iwai en 1984 702 et Conlisk en 1989 703 s’intéressent à la « recherche aléatoire » 704 de nouvelles techniques.

En fait, les modèles recensés par Nelson sont effectivement construits dans un cadre évolutionniste et sont réellement alternatifs à ceux de l’analyse néoclassique. Toutefois, ils ne concernent pas la théorie de la croissance à proprement parler, mais davantage celle du changement technique et de l’innovation. Plus précisément encore, ils concernent la question de la diffusion de la technologie. Aussi, nous présentons leurs principales hypothèses et leurs résultats dans la section 5, consacrée aux théories évolutionnistes de l’industrie et de la technologie. Dans la présente section, nous étudions un premier modèle de croissance proposé par Nelson et Winter [1982] et un second modèle proposé par Silverberg et Verspagen [1994]. Récemment, Verspagen [2001] explique indirectement le faible nombre de contributions évolutionnistes axées explicitement sur les problèmes de croissance. Il note que « même quand l’attention est limitée à la théorie de la croissance, il est impossible de définir « le modèle de croissance évolutionniste » » 705 . La première raison est d’ordre épistémologique et est liée à la nature explicative des théories évolutionnistes plutôt que prédictive. Cette question est abordée dans la troisième partie, quand nous étudions l’aptitude des théories évolutionnistes et néoclassiques à se confronter aux « faits » économiques 706 . La seconde raison avancée par Verspagen concerne la diversité des approches évolutionnistes et la difficulté à proposer un modèle susceptible de regrouper l’ensemble des conclusions apportées par les travaux individuels. La supériorité des modèles de croissance néoclassique sur ce point est évidente. Cette question est également reprise dans la conclusion de cette partie, lorsque nous proposons une comparaison des forces et faiblesses, en termes théoriques, des deux approches. En 1982, Nelson et Winter présentent trois types de modèles :

  • les premiers portent sur les comportements des firmes. L’accent est mis sur la diversité des règles comportementales. Une première étape consiste à reproduire les conclusions de la théorie « orthodoxe » dans un cadre évolutionniste simplifié. Une seconde étape insiste sur l’influence des changements des conditions du marché sur le comportement des firmes et de l’industrie, en s’écartant des hypothèses de l’orthodoxie ;
  • les deuxièmes s’appuient sur une présentation préalable des critiques adressées à la théorie néoclassique de la croissance. Nelson et Winter reprennent d’abord la problématique de leur article de 1974 qui consiste à retrouver les résultats de Solow [1957] dans un cadre évolutionniste, puis s’intéressent au rôle des processus de sélection de techniques de production sur la croissance ;
  • les troisièmes concernent les principales notions de la concurrence schumpeterienne. Un premier modèle étudie la concurrence entre les innovateurs et les imitateurs et un second modèle analyse les liens entre l’innovation et la concentration industrielle.

Notes
698.

Metcalfe J. S. [1988], « The Diffusion of Innovation: an Interpretative Survey », in G. Dosi ‑ C. Freeman ‑ R. Nelson ‑ G. Silverberg ‑ L. Soete (eds), Technical Change and Economic Theory, Pinter, London, pp. 560‑589.

699.

Metcalfe J. S. [1992], « Variety, Structure and Change: an Evolutionary Perspective on the Competitive Process », Revue d’Economie Industrielle, n° 59, 1er trimestre, pp. 46‑61.

700.

Metcalfe J. S. ‑ Gibbons M. [1989], « Technology, Variety and Organization », in R. Rosenbloom ‑ R. Burgelman (eds), Research on Technological Innovations, Management and Policy, Jai Press, Greenwich, pp. 153‑193.

701.

Chiaromonte F. ‑ Dosi G. [1993], « Heterogeneity, Competition, and Macroeconomic Dynamics », Structural Change and Economic Dynamics, vol. 4, Issue 1, March, pp. 39‑63.

702.

Iwai K. [1984], « Schumpeterian Dynamics Part I », Journal of Economic Behavior and Organization, vol. 5, no. 2, June, pp. 159‑190 et Iwai K. [1984], « Schumpeterian Dynamics Part II », Journal of Economic Behavior and Organization, vol. 5, no. 3‑4, September‑December, pp. 321‑351.

703.

Conlisk J. [1989], « An Aggregate Model of Technical Change », Quarterly Journal of economics, vol. 104, no. 4, November, pp. 787‑821.

704.

« Stochastic search ».

705.

« Even when attention is limited to growth theory, it is impossible to define « the evolutionary growth model » », Verspagen [2001], p. 3.

706.

Voir p. 477.