Introduction de la troisième partie

Dans un article sur l’ « interaction des innovations drastiques et incrémentales » 972 , Yin et Zuscovitch [2001] s’intéressent aux effets d’une telle interaction sur le changement technique et la croissance. Les innovations drastiques, synonymes d’une situation de monopole pour les innovateurs qui les mettent en place, agissent en redéfinissant les possibilités de production, alors que les innovations incrémentales consistent à déplacer la frontière des possibilités de production. Le modèle proposé par Yin et Zuscovitch présente les incitations pour les firmes à mettre en place des innovations de type drastique ou incrémentale en fonction des probabilités de succès de chacune d’entre elles. Le cœur du modèle, mettant en jeu des firmes en amont produisant des biens capitaux et de la technologie, et des firmes en aval fabricant des biens de consommation, repose sur l’idée selon laquelle « ‘quand les firmes en amont dépensent plus pour la nouvelle génération de technologie, le taux de réussite augmente, c’est‑à‑dire que celle‑ci va aboutir plus rapidement. Comme elle va rendre complètement obsolète la technologie courante et les efforts de capacité, le rendement anticipé d’une innovation incrémentale sur la génération courante de technologie est plus faible. Ceci décourage l’implication des firmes en aval dans les innovations incrémentales’ » 973 .

Au‑delà des conclusions proposées, selon lesquelles il existe au moins un équilibre stationnaire, ce qui nous semble intéressant dans ce modèle pour notre problématique, ce sont les références utilisées par Yin et Zuscovitch. Sans entrer dans le détail des publications de Zuscovitch, nous avons vu que celui‑ci a proposé un travail sur le développement des technologies en collaboration avec Gaffard (Gaffard ‑ Zuscovitch [1991]) en insistant sur les avantages analytiques d’une approche de la technologie différente de celle adoptée par la théorie néoclassique 974 . Quoi qu’il en soit, dans cet article, sont recensés des papiers et des ouvrages proposés par des économistes que nous avons classés dans la partie consacrée au programme de recherche évolutionniste. Il s’agit de Dosi [1982], Freeman, Clark et Soete [1982] 975 , Nelson [1981], Nelson et Winter [1977] 976 , Rosenberg [1976] 977 et [1982], Sahal [1981] 978 et de Schumpeter [1934] et [1939]. Or, dans le même temps, les principales références des théories de la croissance endogène proposées par Aghion et Howitt [1992] et [1998], Grossman et Helpman [1991] et par Romer [1986] et [1990b] viennent s’ajouter à la bibliographie. Aussi, le modèle de croissance endogène de Yin et Zuscovitch s’interprète, de notre point de vue, comme leur reconnaissance des avancées théoriques réalisées par les travaux sur la croissance endogène pour la définition des caractéristiques des processus d’innovation. Dans le même temps, la référence à des comportements maximisateurs de la part des firmes et l’accent mis sur la recherche d’un équilibre écartent définitivement ce modèle de la démarche évolutionniste. Les heuristiques négatives propres au programme de recherche néoclassique et au programme de recherche évolutionniste empêchent l’existence d’un modèle appartenant à la fois aux théories évolutionnistes et aux théories de la croissance endogène. En tout cas, il témoigne de la volonté de proposer des modèles essayant de concilier les avancées théoriques des uns et des autres.

Cet exemple montre aussi l’effervescence de la recherche actuelle sur les questions des liens entre les performances économiques des pays et leurs activités d’innovation. Il certifie en tout cas l’imbrication des thématiques et le recouvrement des questions posées par les différents programmes de recherche concernés. En fait, la question théorique des liens entre la croissance économique et le développement technologique a deux conséquences. La première correspond à la validité statistique de cette relation. La question de la convergence et de la divergence des taux de croissance est particulièrement dépendante des avancées théoriques réalisées ces dernières années par les théories de la croissance endogène et par les théories évolutionnistes. La seconde fait référence aux implications théoriques, pour la politique économique, de l’endogénéité des sources du changement technique. Cette assertion peut être interprétée différemment. Les théories ont certainement contribué au renouveau des explications apportées sur les niveaux et les taux de croissance, et les politiques publiques en faveur du développement technologique. Cependant, la validité des théories dépend justement de leur capacité à s’accorder avec les faits concernant la convergence/divergence et à proposer des éléments de politique publique. Autrement dit, la causalité entre les « faits économiques » et les théories est à double sens.

Notes
972.

« Interaction of Drastic and Incremental Innovations », titre de l’article.

973.

« When upstream firms spend more money on the new generation of technology, the hazard rate is larger, i.e., it will succeed sooner. Since it will obsolesce current technology and efficiency efforts completely, the expected return from incremental innovation based on the current generation of technology is lower », Yin ‑ Zuscovitch [2001], p. 17.

974.

Voir p. 271.

975.

Freeman C. ‑ Clark J. ‑ Soete L. [1982], Unemployment and Technical Innovation: a Study of Long Waves and Economic Development, France Pinter, London.

976.

Nelson R. ‑ Winter S. [1977], « In Search of Useful Theory of Innovation », Research Policy, vol. 6, no. 1, February, pp. 36‑76.

977.

Rosenberg N. [1976], Perspectives on Technology, Cambridge University Press, Cambridge.

978.

Sahal D. [1981], Patterns of Technological Innovation, Addison Wesley, Reading.