La substitution d’une analyse de la croissance avec un progrès technique endogène à une analyse avec un progrès technique exogène s’est traduite par un changement de problématique dans la recherche des facteurs de la convergence des taux de croissance du revenu. Ainsi, l’accent est mis sur les deux points suivants :
Le calcul de la productivité des facteurs nécessite un cadre analytique rigoureux. A partir de ce cadre, les principales conclusions néoclassiques traditionnelles insistent sur la convergence à long terme et le rattrapage à court terme. Malinvaud [1993] souligne toutefois l’absence d’une analyse véritablement explicite de la croissance à long terme et de l’hypothèse de rattrapage. Il note que « ‘la nature du régime limite n’était pas l’objet d’un intérêt prioritaire. On était évidemment conscient de ce que la modélisation avait des effets à ce sujet. Mais comme on s’intéressait à autre chose, on se contentait de vérifier la compatibilité des évolutions limites avec des idées intuitives sur ce qui devait caractériser le taux de croissance à long terme de nos économies, la signification concrète du long terme étant alors laissée délibérément floue’ » 1045 . Comme la question de la convergence des taux de croissance nationaux nécessite une analyse du long terme et que le long terme est écarté de la théorie néoclassique originelle de la croissance, il n’est pas surprenant de voir Malinvaud [1993] noter, à propos de l’hypothèse de rattrapage, qu’il s’agit d’ « une conclusion déduite du modèle de Solow » 1046 . La problématique de la convergence/divergence correspond à la domination des conclusions implicites proposées par la théorie néoclassique. Elles suggèrent que le capital doit se déplacer des pays riches vers les pays pauvres où la productivité du capital est plus élevée. Les pays les plus pauvres sont donc censés connaître des taux de croissance plus élevés que les pays riches, traduisant ainsi la notion de rattrapage. Pendant cette phase, les analyses empiriques portent essentiellement leur attention sur les phénomènes de convergence.
Une seconde phase coïncide, selon Maddison [1995], avec « ‘l’émergence d’une part, de nouvelles données comparatives sur les taux de croissance et les niveaux de performance des pays capitalistes avancés (...) et d’autre part, de statistiques exhaustives fondées sur les niveaux de revenu, de taux de croissance et autres paramètres connexes’ » 1047 . Les principales sources statistiques apparues au cours de cette période correspondent à deux ouvrages de Maddison édités en 1982 1048 et 1991 1049 et à deux articles de Summers et Heston publiés en 1988 1050 et 1991 1051 . Cette phase privilégie les idées déjà mises en évidence par Kaldor et ne considère plus la convergence comme un phénomène systématique, parce que, selon Fagerberg, Verspagen et Tunzelmann [1994] les « écarts sont également créés, par un processus de divergence » 1052 . La problématique se déplace d’une recherche des éléments de convergence vers une recherche plus attentive aux facteurs historiques de la croissance. En ce sens, l’article publié par Abramovitz dans le Journal of Economic History en 1986 est un bon exemple de cette nouvelle phase de recherche. Intitulé « Catching Up, Forging Ahead, and Falling Behind », cet article précise que « l’hypothèse de rattrapage dans sa forme la plus simple ne prévoit pas de changement de leadership, et en fait ne prévoit pas non plus de changement dans le classement des pays en fonction de leurs niveaux relatifs de productivité» 1053 . Cet article remet également en cause l’idée stipulant l’unicité du sens des flux des pays leaders vers les pays suiveurs. L’originalité de ce texte n’est pas liée à l’énumération de facteurs explicatifs plus nombreux, mais découle de leur prise en compte de manière explicite. Cette prise en compte est également mise en avant (de manière théorique) par Romer [1990a] dans un article cherchant à comprendre « pourquoi le capital ne se déplace pas des pays riches vers les pays pauvres ? » 1054 . Artus [1993] note que l’analyse de la croissance à long terme ne prédit plus la convergence de manière systématique, mais montre « la convergence entre les pays les plus développés » et indique également que « la convergence n’apparaît plus dès qu’on analyse d’autres pays que les plus avancés » 1055 .
Sur ce point, l’article de Baumol publié en 1986 dans l’American Economic Review a un rôle déterminant. C’est à lui qu’attribuent Abramovitz et David [1996] « la suggestion initiale prétendant que les données internationales montrent l’existence de « clubs de convergence » plutôt qu’une convergence globale » 1056 . De la même manière, Maddison [1995] estime que « l’accent mis par Baumol sur la convergence et l’utilisation que ce dernier a faite de la base de données de Summers et Heston dans le but d’éprouver ses hypothèses par régression ont eu un impact très sensible sur le programme de recherche de la nouvelle littérature consacrée à la croissance » 1057 . Toutefois, Maddison considère que cet impact est largement involontaire puisqu’il note que « son échantillon était principalement limité aux pays à haut revenu et « orienté » pour cadrer avec son postulat de convergence » et ajoute que « les nouveaux théoriciens de la croissance se sont précipités sur ce défaut » 1058 . Dans un premier temps, Baumol [1986] suggère l’existence d’une relation inverse entre le niveau du revenu par heure‑travail en 1870 et le taux de croissance de ce revenu depuis 1979 pour seize pays industrialisés. Ceci signifie que « plus le niveau de la productivité d’un pays est élevé en 1870, moins ce niveau croît au cours du siècle suivant » 1059 . Les résultats statistiques valident cette hypothèse, puisque le coefficient de corrélation entre les deux est égal à 0.88. Baumol reconnaît toutefois que ce résultat ne prend pas en compte un certain nombre de caractéristiques tel que le fait de savoir « si un pays particulier a ou n’a pas des marchés libres, une propension à investir importante ou des politiques pour stimuler la croissance » 1060 . Dans un second temps, il explique que la croissance de la productivité d’un pays est sujette à de nombreux spillovers affectant la productivité des pays qui produisent et échangent des catégories de biens similaires. Les autres pays ne peuvent quant à eux, ni augmenter la productivité d’industries qu’ils ne possèdent pas ni utiliser ces améliorations pour d’autres industries en raison de leurs faibles niveaux d’éducation et de savoir‑faire. Ces faits justifient l’existence de trois « clubs de convergence », correspondant aux pays industrialisés, aux pays centralisés et aux pays intermédiaires, les pays les plus pauvres ne montrant pas de véritable convergence.
Si l’hypothèse de convergence globale a été sérieusement remise en cause depuis le milieu des années quatre‑vingts, certains auteurs persistent à la conserver et tentent de l’apprécier quantitativement. Ils conservent alors le modèle de Solow auquel ils ajoutent quelques hypothèses. Les principales contributions, présentées dans les quelques années suivant la remise en cause de l’hypothèse de convergence, sont l’œuvre, d’une part, de Barro [1991] et Barro et Sala‑i‑Martin [1992] et, d’autre part, de Mankiw, D. Romer et Weil [1992]. La méthodologie de Barro et Sala‑i‑Martin [1992] consiste à apprécier la convergence entre les quarante‑huit Etats contigus du continent nord‑américain entre 1840 et 1988, puis entre quatre‑vingt‑dix‑huit pays entre 1960 et 1985. Pour cela, les auteurs considèrent un modèle de Solow où le progrès technique est susceptible de compenser les rendements décroissants du capital et est capable d’expliquer la croissance du revenu par tête. En d’autres termes, ils associent croissance du revenu par tête et accumulation du capital. L’explication est donnée par Barro et Grilli [1994] dans European Macroeconomics. Ils notent que ‘«’ ‘ les quantités par travailleur, K/L et Y/L, ne tendent plus vers des cibles fixes correspondant à une croissance régulière, (K/L)* et (Y/L)*. Il convient au contraire de penser à des cibles mobiles : par exemple (Y/L)* peut croître (...) sous l’effet du changement technique. L’output par travailleur Y/L s’approche ainsi graduellement de sa cible mobile (Y/L)* (...) et modifie l’accumulation du capital en faisant tendre K/L vers (K/L)*.(...) A long terme, Y/L croît le long du sentier (Y/L)*. (...) Le rapport du capital au travail K/L croît de la même manière le long du sentier (K/L)*. Les rendements décroissants ne s’appliquent pas, parce que les effets négatifs d’un rapport K/L élevé sur le produit marginal du capital sont contrebalancés par le progrès technique. Le produit marginal et le taux réel du capital ne tendent donc plus vers le sentier de croissance régulière ’» 1061 . L’analyse de la convergence ne se pose plus dans les termes du modèle de Solow, dans lequel une croissance élevée du revenu par tête suppose un niveau absolu de revenu par tête faible. Dans la perspective de Barro et Grilli [1994], une faible (forte) croissance du revenu par tête signifie que la distance qui la sépare de son sentier de croissance équilibrée ‑ qui se déplace dans le temps ‑ est faible (forte). Cette conception permet de faire intervenir la notion de convergence « relative » et qui est liée au fait que « le taux de croissance ne dépend pas de la valeur absolue de Y/L, mais plutôt de la valeur relative à sa position de croissance équilibrée » 1062 . Quand Barro et Sala‑i‑Martin [1992] s’intéressent à l’appréciation de la convergence des Etats nord‑américains, ils estiment que les taux de croissance exogène de la productivité du travail et les niveaux d’équilibre du revenu par unité de travail efficace sont sensiblement égaux entre les Etats. Dans ce cas, les convergences absolues et relatives coïncident. Cependant, la mesure de la convergence des quatre‑vingt‑dix‑huit pays ne peut se satisfaire d’une telle estimation. Les auteurs précisent que « ‘l’échantillon de quatre‑vingt‑dix‑huit pays présente de grosses différences quant aux valeurs de croissance équilibrée, (...) liées aux paramètres de la technologie, des préférences (des ressources naturelles et des politiques publiques)’ » 1063 . Ils intègrent alors d’autres variables explicatives dans leur régression qui correspondent principalement aux comportements d’épargne et au capital humain. Ces variables doivent refléter les contextes institutionnels propres à chaque pays, mais ne peuvent toutefois pas rendre compte des interactions entre les différents phénomènes économiques, sociaux et techniques. En dépit de cela, Barro et Sala‑i‑Martin [1992] concluent à une convergence « conditionnelle » entre les pays de leur échantillon, au sens où elle dépend de l’introduction de ces variables.
La méthodologie retenue par Mankiw, D. Romer et Weil [1992] est assez proche de celle de Barro et Sala‑i‑Martin [1992]. Eux‑aussi maintiennent leur confiance dans le modèle de Solow, qu’ils prennent comme outil de référence. De la même manière, ils cherchent à en montrer la validité, en incorporant quelques hypothèses supplémentaires. Ainsi, ils définissent un modèle de Solow « augmenté » 1064 , prenant en considération le capital humain. Ils retiennent la fonction de production définie par Y = Kα.Hβ(A.L)1‑α‑β, où Y correspond au revenu, K au stock de capital physique, H au stock de capital humain, A au niveau de la technologie et L au niveau de l’emploi. Cette fonction de production est susceptible de rendre compte :
Mankiw, D. Romer et Weil [1992] s’intéressent aux relations entre la variation du revenu par tête et les variations du taux de l’investissement, de la population active, et du pourcentage de la population impliquée dans des études secondaires sur la période 1960‑1985. Pour les quatre‑vingt‑dix‑huits pays non‑pétroliers de l’échantillon et pour les soixante‑quinze pays intermédiaires de l’échantillon, presque 80 % de cette variation est expliqué par ces trois variables. Pour les vingt‑deux pays membres de l’OCDE, un peu plus de 20 % seulement de cette variation est expliqué. Après avoir rappelé le contenu du concept de « convergence conditionnelle » mis en évidence par Barro et Sala‑i‑Martin [1992], les auteurs (re)montrent que « dans le modèle de Solow, la croissance du revenu est une fonction des déterminants du sentier de croissance équilibrée et du niveau initial du revenu » 1065 . La notion de « convergence conditionnelle » implique la prise en considération de la croissance de l’investissement, de la population active et de la durée des études. Les tests économétriques proposés montrent que les coefficients de régression augmentent avec l’introduction progressive des éléments de la convergence conditionnelle, au point que Mankiw, D. Romer et Weil [1992] concluent que « les différences d’épargne, d’enseignement et de croissance de la population peuvent expliquer les différences de revenu par tête » 1066 et même que « ces trois variables expliquent la plus grosse partie des variations internationales » 1067 . Cependant, le concept de convergence conditionnelle sur lequel repose tout le fondement de l’argumentation de Barro et Sala‑i‑Martin [1992] et de Mankiw, D. Romer et Weil [1992] présente une limite importante. Amable et Guellec [1992] notent que les variables qui déterminent la notion de revenu par tête d’équilibre sont largement endogènes et dépendantes du revenu par tête actuel et précisent qu’ « il n’est donc pas possible d’en déduire un niveau d’équilibre si on admet leur endogénéité » 1068 .
Malinvaud [1993], p. 174.
Malinvaud [1993], p. 178.
Maddison [1995], p. 45.
Maddison A. [1982], Phases of Capitalist Development, Oxford University Press, Oxford.
Maddison A. [1991], Dynamic Forces in Capitalist Development, Oxford University Press, Oxford.
Summers R. ‑ Heston A. [1988], « A New Set of International Comparisons of Real Product and Price Levels : Estimates for 130 Countries, 1950‑1985 », Review of Income and Wealth, vol. 34, March, pp. 1‑25.
Summers R. ‑ Heston A. [1991], « The Penn World Table (mark 5) : an Expanded Set of International Comparisons, 1950‑1988 », Quarterly Journal of Economics, vol. 106, no. 2, May, pp. 327‑368.
« Gaps are also created, through a process of divergence », Fagerberg ‑ Verspagen ‑ Tunzelmann [1994], p. 6.
« The catch‑up hypothesis in its simple form does not anticipate changes in leadership nor, indeed, any changes in the ranks of countries in their relative levels of productivity », Abramovitz [1986], p. 396.
« Why Doesn’t Capital Flow from Rich to Poor Countries? », titre de l’article de Romer.
Artus [1993], p. 19.
« The initial suggestion that the international data showed the existence of « convergence clubs » rather than global convergence », Abramovitz ‑ David [1996], p. 61.
Maddison [1995], p. 45.
Maddison [1995], p. 45.
Baumol [1986], p. 1076.
Baumol [1986], p. 1077.
Barro ‑ Grilli [1994], p. 284.
Barro ‑ Grilli [1994], p. 293.
Barro ‑ Sala‑I‑Martin [1992], p. 243.
« Augmented ».
« In the Solow model the growth of incomer is a function of the determinants of the ultimate steady‑state and the initial level of income », Mankiw ‑ Romer ‑ Weil [1992], p. 423.
« Differences in saving, education, and population growth should explain cross‑country differences in income per capita », Mankiw ‑ Romer ‑ Weil [1992], p. 433.
« These three variables do explain most of the international variations », Mankiw ‑ Romer ‑ Weil [1992], p. 433.
Amable ‑ Guellec [1992], p. 365.