1.3. Quelques faits stylisés du rattrapage au cours des années quatre‑vingt‑dix dans les pays industrialisés

Dans son appréciation des différentes approches théoriques de la convergence/divergence, Fagerberg [1995] note que « ‘quand les différentes études individuelles sont regroupées, un message clair en ressort : le potentiel du rattrapage (imitation) n’est exploité que par les pays ayant une ’ ‘«’ ‘ capacité sociale ’ ‘»’ ‘ suffisamment forte, par exemple ceux qui arrivent à mobiliser des ressources nécessaires (investissements, éducation, R&D, ...)’ » 1069 . Fagerberg liste également les principales conclusions de différents travaux empiriques focalisés sur les écarts de croissance. Les variables sur lesquelles ces « nouvelles études empiriques » 1070 mettent l’accent correspondent au revenu par tête pour déterminer le potentiel de rattrapage, aux variables affectant les écarts de revenu entre pays et d’autres variables structurelles diverses comme le degré d’ouverture pour les échanges, la taille de l’économie, la part du secteur public dans le revenu et la croissance de la population. Les contributions retenues correspondent aux articles de Levine et Renelt [1992] 1071 , Dowrick et Nguyen [1989] 1072 , Lichtenberg [1992] 1073 et Barro [1991]. Leurs conclusions, définies par Fagerberg comme des « faits stylisés », sont les suivantes :

Fagerberg explique que les appréciations empiriques de la convergence se sont multipliées depuis le début des années quatre‑vingts. L’une des raisons, déjà évoquée, tient au développement des statistiques disponibles. Fagerberg note également que l’apparition de programmes économétriques pour les ordinateurs individuels a certainement été déterminante. De nouvelles études ont encore été proposées depuis l’article de Fagerberg de 1995. La question de la convergence reste un thème largement exploré, d’un point de vue à la fois théorique et statistique. Récemment, Soete [2001] a porté son attention sur les trajectoires de croissance des pays européens, des Etats‑Unis et du Japon. Il explique que les années quatre‑vingt‑dix ont montré une tendance à la divergence et qu’il s’agit d’un fait remarquable, dans la mesure où les décennies précédentes montraient un mouvement de rattrapage, fort dans les années cinquante et soixante, moins marqué depuis 1973 et jusqu’à la fin des années quatre‑vingts. Soete explique que le processus de divergence actuel s’explique essentiellement par le « bond en avant » des Etats‑Unis, qui résulte lui‑même d’une mise en place performante d’une économie fondée sur la connaissance. Partant de ce constat, Soete s’interroge à la fois sur les conditions du succès nord‑américain et sur les efforts que doivent faire les pays européens pour accroître leur taux de croissance national. Ces deux questions nous intéressent particulièrement et constituent le cœur de ce chapitre et du suivant. Enfin, notons que la démarche de la convergence conditionnelle s’accorde largement avec la présence de clubs de convergence. Dans un travail empirique sur les liens entre la spécialisation et la croissance, Amable [2000] prend comme point de départ les conclusions avancées par Durlauf et Johnson [1995] 1076 . Ces derniers « ont montré [que] l’hypothèse d’un modèle de croissance commun à un large échantillon de pays est fortement rejeté au profit d’une hypothèse de l’existence de différents clubs de convergence » 1077 . Par conséquent, Amable explique que les tentatives d’appréciation empirique de la convergence doivent porter sur un nombre réduit de pays, contrairement à ce que font la plupart des travaux. Les échantillons trop importants incluent des pays dont les économies sont trop différentes pour pouvoir tirer de quelconques conclusions générales sur les politiques à mettre en place. Aussi, Amable ne s’intéresse qu’à trente‑neuf pays, incluant vingt‑quatre pays de l’OCDE, sept pays d’Asie, sept pays d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, plus Israël.

L’objectif de son travail est d’apprécier les conséquences de la spécialisation internationale sur la croissance. L’accent est mis sur trois variables : la « spécialisation inter‑industrie » 1078 , « la dissimilitude des échanges » 1079 et l’avantage comparatif dans l’électronique. La première variable mesure l’homogénéité/hétérogénéité entre les différentes industries concernant la structure des échanges, une forte (faible) hétérogénéité traduisant une spécialisation appropriée (inappropriée). La deuxième variable détermine la pertinence de la spécialisation par rapport à la demande internationale. Amable explique que la spécialisation peut permettre à un pays de bénéficier d’économies d’échelle ou d’exploiter un avantage comparatif. Cet aspect positif sur le taux de croissance peut néanmoins être contrebalancé par une spécialisation inadéquate, c’est‑à‑dire orientée vers des industries à faible croissance ou dont les produits font face à une faible demande internationale. Enfin, la troisième variable rend compte de la compétitivité des pays dans les technologies de l’information et de la communication. Ces dernières sont estimées par la « filière de l’électronique » telle que la définie le CEPII [1998] 1080 , regroupant les ordinateurs, les équipements de télécommunication, l’électronique grand public, les composants électroniques, les montres, les instruments de mesure et les instruments optiques. Pour apprécier ces différents points, Amable a recours à un « modèle de croissance de Solow augmenté ». L’idée est de mesurer la différence entre le niveau de croissance par tête des pays avec leur niveau de croissance conditionnelle et d’apprécier les effets des variables précédentes, ainsi que celui des investissements et de l’éducation. La présence du rattrapage se traduit statistiquement par un écart positif entre les deux niveaux de croissance. Les principales conclusions empiriques avancées par Amable s’accordent parfaitement avec ce que Fagerberg [1995] avance pour la plupart des travaux de ce type. Plus précisément, les deux principaux résultats sont les suivants :

Aussi, Amable [2000] souligne « ‘la complémentarité entre l’éducation et la structure du commerce avec l’extérieur qui correspond d’une certaine manière à une forme particulière de ’ ‘«’ ‘ complémentarité institutionnelle ’ ‘»’ » 1081 . Ce point mérite évidemment de plus amples commentaires théoriques pour comprendre exactement les liens entre l’éducation et la croissance. La question des liens entre l’éducation et l’innovation technologique est essentielle et est reprise dans le cadre de l’étude des politiques publiques dans le troisième chapitre 1082 . Depuis le commencement de notre travail, nous insistons sur le fait que la comparaison des conclusions point par point n’est pas possible, parce que les théories ne se posent pas les mêmes questions. Nous venons de voir que la remise en cause de la convergence est notamment partagée par les théories de la croissance endogène et par les théories évolutionnistes. Cependant, les explications de la convergence sont présentées différemment : dans un cas, elle peut être appréciée par la mise en avant des rendements croissants ou des activités d’innovation des firmes, alors que dans l’autre, elle peut être appréhendée avec la notion de système national d’innovation. Aussi, dans les deux prochaines sections, nous présentons séparément les explications fournies par les théories de la croissance endogène et par les théories évolutionnistes. Dans la section 4, nous proposons toutefois quelques commentaires comparatifs sur le contenu économique des justifications.

Notes
1069.

« When the many individual studies are put together, one message comes through quite clearly: the potential for « catch‑up » (imitation) is there, but is only realized by countries that have a sufficiently strong « social capability », e.g. those that manage to mobilize the necessary resources (investments, education, R&D, etc.) », Fagerberg [1995], p. 281.

1070.

« New empirical studies ».

1071.

Levine R. ‑ Renelt D. [1992], « A Sensitivity Analysis of Cross‑Country Growth Regression », American Economic Review, vol. 82, no. 4, September, pp. 942‑963.

1072.

Dowrick S. ‑ Nguyen D.T. [1989], « OECD Comparative Economic Growth 1950‑85: Catch‑Up and Convergence », American Economic Review, vol. 79, no. 5, December, pp. 1010‑1030.

1073.

Lichtenberg F. [1992], « R&D Investment and International Productivity Differences », NBER Working Paper, no. 4161, September.

1074.

« Robust correlation ».

1075.

« Countries that trade much, compared to their size (GDP), invest more than others », Fagerberg [1995], p. 280.

1076.

Durlauf S. ‑ Johnson P. [1995], « Multiple Regimes and Cross‑Country Growth Behavior », Journal of Applied Econometrics, vol. 10, no. 4, pp. 365‑384.

1077.

« The hypothesis of a common growth model for a very large sample of country is strongly rejected in favour of the hypothesis of different convergence clubs », Amable [2000], p. 415.

1078.

« Inter‑industry specialisation ».

1079.

« Trade dissimilarity indicator ».

1080.

CEPII [1998], Compétitivité des nations, Economica, Paris.

1081.

« The complementarity between education and the structure of foreign trade, which corresponds in a way to a certain pattern of « institutional complementarity » », Amable [2000], p. 427.

1082.

Plus précisément, dans la section consacrée aux notions d’économie de la connaissance et de capital humain, voir pp. 525 et suivantes.