En 1995, Maddison énonce une remarque intéressante sur le rôle des théories de la croissance endogène pour les travaux empiriques. Il souligne que « ‘le souci de la nouvelle école de la croissance d’élaborer des modèles au sein desquels un plus grand pouvoir explicatif serait conféré au progrès technique est un thème central, abordé par de nombreux autres analystes, mais étudié sans véritable conviction par les comptables de la croissance’ » 1083 . En réalité, comme nous l’avons déjà suggéré, l’objectif de cette partie n’est pas tant de voir en quoi les propositions des théories sont validées ou non par les faits, que d’apprécier les propositions théoriques qui justifient les faits stylisés que nous avons précédemment listés. Une fois encore, puisque les théories se sont développées par rapport à ces faits, nous pouvons supposer qu’elles s’accordent avec eux. La question est donc bien de savoir si les justifications sont satisfaisantes, en utilisant les critères de Lakatos mentionnés dans la deuxième partie.
Dans« Notes on Growth Accounting », Barro [1998] propose une application théorique de la méthode de décomposition de la croissance à deux types de modèles de croissance endogène, c’est‑à‑dire à un modèle de variétés de produits et à un modèle d’augmentation de la qualité des produits. L’idée de Barro est de considérer que le résidu de Solow est interprétable de deux manières :
La conclusion de Barro consiste à expliquer que les théories de la croissance endogène offrent une explication économique du résidu et que dans le même temps les exercices de décomposition de la croissance fournissent des explications intéressantes pour les théories de la croissance endogène. Pour Barro, « ‘les anciennes et les nouvelles approches de la croissance économique sont complémentaires’ » 1084 . Un autre commentaire, formulé par Barro et Sala‑i‑Martin [1995], va dans le même sens et souligne la complémentarité et l’interdépendance des travaux théoriques et des appréciations empiriques. Ils expliquent que « ‘l’analyse empirique des taux de croissance n’est pas une théorie de la croissance : elle n’explique pas comment les variations de facteurs et l’amélioration de la productivité totale des facteurs sont liées aux éléments fondamentaux que sont la forme des préférences, la technologie, ou les politiques gouvernementales’ » 1085 . Ces questions relèvent en effet de la théorie, qui offre un cadre nécessaire à la mesure empirique. La problématique générale de l’ouvrage de Grossman et Helpman [1991] illustre avec précision les questions posées, au sein d’une démarche néoclassique, par l’association des analyses de la croissance et du commerce international. Rappelons que l’attention de ces auteurs est précisément portée sur les « mécanismes qui lient les résultats des nations en termes de croissance aux performances en termes d’échange dans l’économie mondiale » 1086 . Leur présentation repose sur deux types de travaux, parmi lesquels ils listent (sans références précises), d’une part, ceux de Krugman, Lancaster, Dixit et Norman et Ethier et, d’autre part, ceux de Romer et Aghion et Howitt. L’intégration des thématiques du commerce international dans l’analyse de la croissance concerne les deux points suivants :
La question des avantages comparatifs peut être appréciée en étudiant les différences entre les taux de croissance des économies. Cette démarche correspond à celle retenue par Amable [2000], que nous avons présentée précédemment. De ce point de vue, un pays ayant un avantage comparatif est censé avoir un taux de croissance supérieur à un pays qui n’en a pas. Cependant, Amable rappelle également certaines conditions sur la nature de l’avantage comparatif, c’est‑à‑dire qu’un avantage est d’autant plus déterminant qu’il intervient sur des produits dont la demande mondiale est importante et dynamique. En fait, la divergence des taux de croissance nationaux est justifiée par les modèles de croissance endogène par l’intermédiaire d’autres mécanismes. Ceux‑ci sont propres à chacun des types de modèles mis en avant et correspondent essentiellement aux économies d’échelle et à l’intensité des activités d’innovation liées à la création de nouvelles connaissances.
Maddison [1995], p. 49.
« The older and the newer approaches to economic growth are complementary », Barro [1998], p. 25.
Barro et Sala‑I‑Martin [1996], p. 393.
« Mechanisms that link the growth performance and the trade performance of nations in the world economy », Grossman ‑ Helpman [1991], p. xii.