Section 4. Quelques remarques conclusives sur la convergence/divergence

Dans The World Economy, qui retrace deux mille ans de statistiques mondiales sur la population et les revenus, Maddison [2001] précise en introduction qu’au cours du deuxième millénaire de notre ère, la population mondiale a été multipliée par vingt‑deux et le revenu mondial par trois‑cents. Au cours du premier millénaire, ces deux variables n’ont augmenté que d’un sixième, signifiant que le revenu par tête moyen est resté stable sur la période. Au cours du deuxième millénaire, la croissance n’a pas été linéaire, puisque depuis 1820, le revenu par tête a été multiplié par huit et la population par cinq. Mais le plus intéressant concerne le fait que « le processus de croissance n’a pas été régulier dans le temps et dans l’espace. La hausse de l’espérance de vie et du revenu a été plus rapide en Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord, en Australasie 1248 et au Japon. En 1820, ce groupe était en tête de peloton avec un niveau de revenu deux fois plus élevé que celui du reste du monde. En 1998, l’écart était de sept pour un. Entre les Etats‑Unis (le leader mondial actuel) et l’Afrique (la région la plus pauvre), l’écart est maintenant de vingt pour un. L’écart continue de se creuser. La divergence est dominante mais n’est pas inexorable. Au cours de la deuxième moitié du siècle dernier, les pays asiatiques, connaissant un nouvel essor, ont montré qu’un degré important de rattrapage était possible » 1249 . En fait, la problématique de la divergence se décline en deux questions : celle du rattrapage par les pays les plus pauvres des niveaux de revenu des pays les plus avancés et celle de la convergence des taux de croissance entre des pays dont les niveaux de revenu et de développement technologique sont proches. Cette idée fait référence à la notion de « club de convergence ». Dans ce travail, notre attention ne s’est portée que sur ce point, et même pour l’essentiel, sur la convergence des taux de croissance des pays les plus riches. Les explications des théories de la croissance endogène et des théories évolutionnistes reposent, à l’instar de ce que Fagerberg [1995] liste pour la plupart des travaux, sur les activités de R&D des pays et sur les efforts entrepris pour rattraper les pays aux niveaux de revenus plus élevés.

Avant de proposer des commentaires comparatifs sur ces deux théories pour cette question et en conclusion sur la convergence/divergence, notons que récemment, Baldwin, Martin et Ottaviano [2001] se sont intéressés à la question de la divergence des revenus. En conclusion de leur article, ils soulignent la différence entre leur démarche et celle basée sur la convergence conditionnelle. Ils notent : « finalement, notre modèle peut également être utilisé pour fournir une perspective de long terme au sein de la littérature sur la convergence (voir Barro et Sala‑i‑Martin [1992] entre autres). Cette littérature prend fondamentalement la disparité du revenu global au dix‑neuvième siècle comme donnée et cherche à mesurer si cet écart s’est réduit dans la période d’après‑guerre. Notre modèle tente d’analyser les origines historiques de la divergence entre le Nord et le Sud en la liant explicitement au décollage de la croissance de la Révolution industrielle » 1250 . En d’autres termes, la phase de la « croissance » est vue comme la phase qui suit le développement. Pour Baldwin, Martin et Ottaviano [2001], il est nécessaire de comprendre les caractéristiques du développement pour appréhender ensuite celles de la croissance. Ils expliquent ainsi que les modèles de croissance endogène ne s’intéressent qu’à la « croissance économique moderne », telle que la définit Kuznets [1966] 1251 . Elle correspond à la croissance initiée au nord‑ouest de l’Europe à la fin du dix‑huitième siècle et qui s’est ensuite diffusée au sud et à l’est, pour finalement atteindre la Russie et le Japon à la fin du dix‑neuvième siècle. Cette remarque montre une nouvelle fois les limites d’une théorie (trop) générale et la nécessité de prendre en compte une partie des points spécifiques des « sujets » étudiés, qu’il s’agisse d’économies nationales, de secteurs ou d’individus.

Ce point de vue correspond à celui adopté par Kuznets 1252 . L’élément sur lequel nous voulons insister, concernant les approches néoclassiques et évolutionnistes porte, d’une part, sur la reconnaissance des caractéristiques nationales et, d’autre part, sur leur prise en compte explicite dans le raisonnement. Pour Romer [1999], le découpage entre les théories de la croissance et les théories du développement est le résultat de deux perceptions différentes de la manière de pratiquer les sciences économiques. Il explique que si l’économie du développement est devenue un domaine à part de l’analyse de la croissance après les contributions de Solow en 1956 et 1957, la raison est méthodologique. Il indique que « ‘les gens de la croissance parlaient avec des mathématiques, alors que les gens du développement parlaient encore avec des mots. Ils se sont de plus en plus éloignés les uns des autres parce qu’ils ne pouvaient pas se comprendre. Il s’agissait moins de différences dans les questions substantielles qu’ils se posaient que d’outils qu’ils sélectionnaient pour arriver à y répondre ’» 1253 . Ainsi présentée, la différence peut sembler triviale, mais elle fait exactement référence à ce que souligne Hodgson [1996b]. Le recours aux mathématiques implique par définition un degré de généralisation important et une difficulté à considérer ce qui est spécifique.

En tout cas, la reconnaissance de différences historiques dans les phases de développement économique redonne un sens particulier aux « étapes de la croissance économique » proposés par Rostow en 1960 1254 . Les étapes mises en avant par Rostow et que sont censées connaître les économies sont les suivantes :

La quatrième étape pose la question de l’aptitude à capter la technologie auprès des pays les plus avancés pour pouvoir passer à l’étape du développement économique supérieur. Celle­‑ci correspond à la « croissance moderne » précédemment définie.

Notes
1248.

Australie, Nouvelle Zélande et Nouvelle Guinée.

1249.

« The growth process was uneven in space as well as time. The rise in life expectation and income has been most rapid in Western Europe, North America, Australasia and Japan. By 1820, this group has forged ahead to an income level twice than in the rest of the world. By 1998, the gap was 7:1. Between the United States (the present world leader) and Africa (the poorest region) the gap is now 20:1. The gap is still widening. Divergence is dominant but not inexorable. In the past half century, resurgent Asian countries have demonstrated than an important degree of catch‑up is feasible », Maddison [2001], p. 17.

1250.

« Finally, our model may also be taken as providing a long‑term perspective on the convergence literature (see Barro and Sala‑i‑Martin [1992] inter alia). That literature essentially takes the 19th century global income disparity as given and seeks to measure whether this gap has narrowed in the postwar period. Our model attempts to analyse the long term origin of the divergence between North and South by linking it explicitly to the growth take‑off of the Industrial Revolution », Baldwin ‑ Martin ‑ Ottaviano [2001].

1251.

Kuznets S. [1966], Modern Economic Growth: Rate, Structure and Spread, Yale University Press, New Haven.

1252.

Nous avons présenté la démarche de Kuznets dans la première partie, voir p. 100.

1253.

« The growth guys talked math; the development guys still talked words. They diverged further and further apart because they could not understand each other. It was less the differences in the substantive questions they were asking, than the tools they were selecting to try and address them », Romer [1999].

1254.

Rostow W. [1960], The Stages of Economic Growth, Cambridge University Press, Cambridge.