Chapitre 3
Les politiques publiques en faveur de l’innovation et de l’éducation

Dans l’introduction générale, nous avons indiqué que les économistes impliqués dans la controverse de Cambridge ont, pour la plupart, occupé des fonctions précises auprès de différents gouvernements aux Etats‑Unis, en Angleterre et même dans des pays en développement pour Robinson. Pour autant, si la recherche d’éléments de politique économique nous semble importante, la question du statut de la politique publique dans la démarche économique mérite plusieurs commentaires. Le premier porte sur le fait que la politique publique n’est pas indépendante de la manière dont sont déterminés les mécanismes économiques eux‑mêmes. Le renouveau classique initié au début des années soixante‑dix a remis en cause l’approche contra‑cyclique keynésienne qui était traditionnellement vue comme l’un des principaux artisans de la période de croissance d’après‑guerre. La nouvelle économie classique et ses principaux animateurs, Lucas, Sargent et Wallace insistent sur l’inefficacité de la politique monétaire et de la politique budgétaire, en s’appuyant sur les travaux du monétariste Friedman et sur la notion d’anticipations rationnelles énoncée par Muth en 1961 1255 . Toutefois, ces réflexions, qui ont bouleversé la macro‑économie (et l’analyse de la croissance pour Barro et Sala‑i‑Martin 1256 ), ne concernent que des aspects limités de la politique économique. Notons que les recherches menées par ces économistes n’ont pas suivi une seule et même voie, ce qui témoigne de la difficulté à comparer des théories et des économistes dont le discours n’est pas figé. Sargent [1984] 1257 précise le cheminement que lui et d’autres ont suivi : « ‘ce n’est pas un hasard si Lucas, Prescott, Wallace et moi‑même avons tous été des économistes keynésiens. Mais il y a eu une rupture, un changement radical dans nos conceptions. Le fait que les décisions des agents individuels varient lorsque le gouvernement change de politique économique nous a fait découvrir une toute autre conception des choses ’» 1258 .

Le deuxième commentaire porte justement sur la définition des types de politiques économiques envisageables dans les économies de marché. Dans ses observations formulées à Snowdon et Vane, Romer [1999] explique « ‘ce que devrait être le rôle du gouvernement concernant la croissance, et en particulier le rôle qu’(il) voit pour la politique monétaire et fiscale sur ce point’ » 1259 . L’explication avancée, focalisée sur la seule question de l’amélioration de la croissance, ne résume évidemment pas l’ensemble des politiques publiques et ne peut occulter la multiplicité de telles politiques. Quoi qu’il en soit, Romer précise qu’ « ‘une politique monétaire raisonnable crée seulement les opportunités de la croissance, elle ne la fait pas se réaliser. Concernant la politique fiscale, un gouvernement doit être capable de payer ses dettes et il doit se garder de taxer les revenus à des taux si hauts qu’ils déforment fortement les incitations’ » 1260 . Cependant, Romer liste (rapidement) un certain nombre d’autres politiques, parmi lesquelles la création de structures légales adaptées aux entreprises pour leur financement et leur développement, mais aussi le versement de subventions aux universités, et à travers elles au capital humain. Cette dernière question mérite évidemment plus d’explications et est approfondie à plusieurs reprises ultérieurement (nous présentons notamment le point de vue avancé par Romer lui‑même en 2000). Notons rapidement un commentaire de Saint‑Paul [1997], qui est assez critique vis‑à‑vis des propositions de politique économique préconisées par les théories de la croissance endogène. Il indique qu’ « ‘il est assez clair que la stabilité politique, des droits de propriétés bien définis et une fiscalité favorable à l’épargne et à l’esprit d’entreprise ne peuvent nuire à l’activité économique. Mais on n’a pas besoin de théories sophistiquées pour le savoir’ » 1261 . Ce point doit toutefois être affiné à la lecture d’un commentaire de Metcalfe [1995], stipulant qu’ ‘«’ ‘ un environnement croissant, mais stable, avec des taux d’intérêt réels bas, fournira des incitations pour l’innovation différentes de celles liées à un environnement caractérisé par l’instabilité financière et un cycle de type ’ ‘«’ ‘ stop‑go ’ ‘»’ ‘. C’est évident mais cela renforce la difficulté à identifier des politiques technologiques adéquates ’» 1262 .

Le troisième commentaire concerne le fait que si la notion de politique publique est souvent évoquée dans les travaux théoriques des économistes, elle y occupe une place particulière. La plupart du temps, des éléments de politiques publiques ne sont proposés qu’en guise de conclusion ou dans des contributions publiées par des économistes autres que ceux qui ont proposé les réflexions théoriques desquelles elles s’inspirent. Cette division du travail au sein des sciences économiques complique évidemment notre démarche. Un exemple permet d’illustrer les deux derniers commentaires et de définir la place des politiques publiques dans la recherche économique. Il concerne la classification du Journal of Economic Literature qui illustre la manière de faire de l’économie telle que la perçoit la majorité des économistes. La question des politiques publiques est déclinée à l’intérieur des différentes catégories de sujets qui sont concernés. Autrement dit, quand les sujets constituant la classification sont susceptibles de faire émerger des éléments de politique économique, une sous‑classification propre leur est consacrée dans les sujets en question. L’existence d’une catégorie appelée « économie publique » 1263 ne remet pas fondamentalement en cause cette remarque, puisqu’elle regroupe plutôt les contributions fournissant des outils généraux pour apprécier la nature et l’influence des recettes et des dépenses des gouvernements sur l’économie que des réflexions sur des types particuliers de politiques publiques. Encore une fois, celles‑ci sont déclinées à l’intérieur des différentes catégories. Ce point peut paraître trivial, mais il implique que les différentes politiques publiques proposées n’ont pas nécessairement de cohérence entre elles. Il peut s’agir de cohérence dans les conclusions avancées et/ou dans les outils théoriques utilisés. Aussi, comme l’analyse de la croissance et l’analyse du changement technique et de l’innovation correspondent à deux traditions différentes, les conclusions énoncées par les théories de la croissance endogène et les théories évolutionnistes ne sont pas toujours comparables.

Notes
1255.

Muth J. [1961], « Rational Expectations and the Theory of Price Movements », Econometrica, vol. 29, pp. 315‑335.

1256.

Ce point a été mentionné dans la conclusion du deuxième chapitre de la première partie, voir p. 101.

1257.

Sargent T. [1984], « Interview », in Klamer A. (ed), Conversations with Economists, Rawman and Allenheld, Totowa.

1258.

Sargent [1984], cité par Baslé et al. [1988], p. 322.

1259.

« What should the role of government be with respect to growth, in particular what role do you see for monetary and fiscal policy here? », Romer [1999].

1260.

« A sensible monetary policy only creates the opportunity for growth to happen; it does not make it happen. On the fiscal side, a government has to be able to pay its bills and it must keep from taxing income at such high rates that it severely distorts incentives », Romer [1999].

1261.

Saint‑Paul [1997], p. 16.

1262.

« A stable but growing macroeconomic environment with low real interest rates would provide very different innovation incentives from one which is characterized by financial instability and a stop‑go cycle. This is obvious but it does reinforce the difficulties in identifying technology policies proper », Metcalfe [1995], p. 416.

1263.

« Public Economics », correspondant à la classification H.