L’appréciation des politiques publiques n’est pas évidente. Au delà de la question des types de politiques envisageables, abordée dans l’introduction de ce chapitre, le problème porte sur la définition des politiques proprement dites. Avant de voir la spécificité des deux programmes de recherche concernant cet aspect, rappelons une remarque avancée par Metcalfe [1995]. Il écrit que « ‘comme Nelson et Winter [1982] le soulignent justement, la recherche sur la politique économique est guidée par des considérations de politique économique et non pas par une réflexion sur la manière dont la théorie économique peut être développée pour rendre compte de l’innovation. Par conséquent, les cadres économiques théoriques présentés permettent seulement de fournir un cadre général pour l’intervention publique, un guide pour les situations où une intervention publique peut améliorer le fonctionnement de l’économie. Les détails propres aux interventions publiques dans n’importe quel domaine, ou la description des actions publiques menées dans la pratique, ne font pas partie de l’ensemble des questions abordées par ces théories générales’» 1291 .
Comme nous l’avons déjà suggéré dans l’introduction de cette troisième partie, plutôt que de recenser les différents types de politiques publiques (monétaire, fiscale, ...), précisons que seule la politique technologique nous intéresse. La raison tient à ce qu’elle met en jeu les notions et les outils proposés par les analyses de l’innovation, qu’il s’agisse des théories de la croissance endogène ou des théories évolutionnistes. Aussi, les politiques économiques sont abordées dans ce travail en fonction des objectifs qu’elles poursuivent et non de leur fonctionnement. Cette perception est celle avancée d’ailleurs par Mowery [1995], qui définit la politique technologique comme l’ensemble des ‘«’ ‘ politiques publiques qui ont pour but d’influencer les décisions des firmes concernant le développement, la commercialisation et l’adoption de nouvelles technologies’ » 1292 . L’accent est cependant mis sur le caractère intentionnel des politiques publiques, c’est‑à‑dire sur les décisions portées en premier lieu sur ces aspects et non pas sur celles qui ont indirectement des effets sur eux. La plus représentative de ces politiques correspond sans doute aux dépenses gouvernementales en faveur du développement technologique lié à la défense. Ce point a déjà été discuté dans la première partie, quand nous présentions les tentatives d’appréciation empirique des dépenses publiques en faveur de la recherche fondamentale 1293
En fait, les politiques publiques « mixent » les théories : elles s’appuient souvent sur les théories évolutionnistes pour la compréhension des processus d’innovation et sur les travaux néoclassiques pour les liens macro‑économiques entre la croissance, le changement technique et l’emploi. Un exemple significatif de cette association des théories est donnée par le rapport Innovation et croissance du Conseil d’Analyse Economique rédigé par Boyer et Didier en 1998. Ses auteurs expliquent que « ‘l’économie française se redresse. Les conditions macroéconomiques de la croissance réapparaissent. Peut‑on entrer désormais dans un cercle vertueux de croissance durable par l’innovation et comment ? Le moment est particulièrement opportun pour réfléchir sur cet enjeu de la politique économique’ » 1294 . Parmi les raisons avancées pour justifier ce dernier point, ils insistent sur le renouveau de l’analyse théorique. Ils notent que ‘«’ ‘ les théories du progrès technique endogène sont venues relancer les débats de politique économique et ont alimenté un regain d’intérêt pour les recherches en économie appliquée portant sur l’innovation’ » 1295 . Aussi, la complémentarité supposée de ces deux types de travaux repose sur la distinction fréquente entre, d’une part, des travaux théoriques sur la croissance (menées par les théories de la croissance endogène) et, d’autre part, des travaux appliqués sur l’innovation (proposés par les théories évolutionnistes). Sur ce point, dans la conclusion de la première partie, nous avons cité l’existence d’un article co‑écrit par Nelson et Romer [1996]. L’existence de convergences entre les deux économistes sur certains points de politiques publiques ne remet pas en cause l’existence de divergences et ne signifie nullement que leurs conclusions se rejoignent toujours, comme peut le laisser supposer l’idée que les théories de la croissance endogène et les théories évolutionnistes sont complémentaires 1296 . C’est d’ailleurs pour cette raison que surgit un problème lorsque les théories de la croissance endogène appuient leurs commentaires sur les caractéristiques nationales des processus d’innovation pour « compléter » leurs propres conclusions. Cette question a été abordée à la fin du chapitre précédent, dans le cadre de notre « deuxième question », quand nous avons évoqué la difficulté des théories de la croissance endogène à adapter leurs méthodes de formulation théorique à la description du contexte institutionnel et technologique des économies nationales 1297 . Dans les deux prochaines sections, nous ne nous intéressons qu’aux propositions propres aux deux théories.
« As Nelson and Winter [1982] rightly insist, policy research is shaped by policy questions not by an agenda relating to how economic theory can be developed to deal with innovation. Consequently, the economic frameworks outlined below serve only to provide a general rationale for policy intervention, a guide to those situations when policy can improve the operation of the economy. The specific details of policy intervention in any given area of the economy, what the policy maker does in practice, are not the stuff of these general theories », Metcalfe [1995], pp. 409‑410.
« Policies that are intended to influence the decisions of firms to develop, commercialize or adopt new technologies », Mowery [1995], p. 514.
Voir p. 120.
Boyer ‑ Didier [1998], p. 11.
Boyer ‑ Didier [1998], p. 12.
Voir p. 161.
Voir p. 470.