2.3. Les politiques publiques en faveur de l’innovation selon les théories évolutionnistes

Freeman et Soete [1997] soulignent que, dans les années soixante‑dix, les économistes définissaient quatre domaines pour lesquels des dépenses publiques pouvaient favoriser l’innovation. Ils correspondent à la recherche fondamentale, aux technologies génériques, aux industries pour lesquelles la structure empêche la mise en place d’activités de R&D au niveau de la firme, et aux investissements d’infrastructure en services scientifiques et technologiques. Ces services incluent les activités de design, de contrôle de la qualité, de services informationnels et les études de faisabilité. Freeman et Soete expliquent qu’ « ils sont également essentiels pour les innovations efficientes et peuvent prédominer dans la diffusion du changement technique dans de nombreuses branches de l’industrie » 1363 . Au delà de l’énumération des différentes destinations des ressources publiques consacrées à l’innovation, le point intéressant concerne le troisième domaine recensé par Freeman et Soete. Il fait évidemment référence aux travaux néoclassiques traditionnels sur les déficiences de marché. Cependant, dans l’esprit de Freeman et Soete, les structures industrielles ne doivent pas être abordées du point de vue des défaillances de marché. Ils déplorent ainsi la généralisation des conclusions à partir d’un secteur particulier. Ils notent que « l’agriculture était un exemple typique, mais des arguments en faveur de consultations techniques et de services de recherche étaient avancés dans de nombreuses industries afin de soutenir les petites et moyennes entreprises » 1364 . Cette remarque appelle deux commentaires. Le premier est lié au fait que l’accent est mis sur les spécificités des industries, plutôt que sur les caractéristiques générales des structures de marché. De ce point de vue, Freeman et Soete [1997] proposent des approches distinctes des industries de la chimie et du pétrole, des matériaux synthétiques, de l’automobile et de l’électronique, et de l’informatique. Ils expliquent que même si l’étude de ces industries fait ressortir « l’effet conjoint des innovations techniques, des innovations organisationnelles et des économies d’échelle dans la croissance de la R&D industrielle et des grandes firmes, elle démontre aussi la vitalité des petites firmes » 1365 . Le second commentaire concerne le fait que l’analyse du comportement d’innovation des firmes, construite à partir des imperfections de marché, est perçue comme un cas particulier de l’étude des stratégies des firmes concernant leurs activités d’innovation. Ainsi, le chapitre 11, consacré à l’ « innovation et la stratégie de la firme » 1366 , a pour objet de « classer les stratégies que les firmes adoptent comme étant offensive, défensive, d’imitation et de dépendance, traditionnelle ou opportuniste » 1367 . Dans ce chapitre, Freeman et Soete expliquent à propos des stratégies des firmes qu’ils décrivent, qu’ « elles diffèrent de celles qui sont normalement considérées à partir du modèle de concurrence parfaite des économistes, puisque deux des hypothèses de ce modèle correspondent à l’information parfaite et l’uniformité de la technologie. Ces deux hypothèses sont totalement irréalistes par rapport à la plupart des stratégies qu’(ils) considèrent, mais elles sont peut‑être pertinentes pour la stratégie traditionnelle qui peut être suivie par les firmes produisant un produit standard homogène en situation concurrentielle » 1368 .

La démarche de Freeman et Soete ne s’oppose pas à la définition de différents comportements d’innovation. Dans leur esprit, l’objet d’analyse pertinent correspond d’abord à l’industrie. A partir des études de différentes industries, il est ensuite possible de déterminer des régularités pour les activités d’innovation des firmes. La généralisation des résultats à partir de travaux descriptifs renvoie à la démarche que nous avons définie pour l’analyse des systèmes nationaux d’innovation. Rappelons que Lundvall [1992] explique que sa représentation théorique du concept de système national d’innovation repose largement sur les conclusions tirées de l’étude des systèmes nationaux d’innovation de trois pays scandinaves 1369 . Concernant la généralisation des comportements des firmes à partir des travaux descriptifs des industries, Freeman et Soete avancent le même type d’arguments, énoncés dans le chapitre introductif de la deuxième partie de leur livre, consacré aux questions de « l’analyse micro‑économique de l’innovation : la théorie de la firme » 1370 . Leur explication consiste notamment à montrer que les propositions avancées dans cette partie s’appuient explicitement sur la première partie, consacrée à « la montée de la technologie liée à la science » 1371 . Ils expliquent dans l’introduction de la première partie que « la deuxième partie va, à partir d’un exposé historique, vers une analyse plus systématique du rôle des grandes et des petites firmes dans les différents types d’innovation et dans les conditions de succès des innovations. La fonction de la première partie est de fournir une base réaliste pour la discussion plus systématique dans les deuxième et troisième parties et de démontrer quelles caractéristiques du système ont changé et lesquelles ont été relativement continues au cours de l’histoire des économies capitalistes » 1372 . La nature de l’intervention publique en faveur des activités d’innovation des firmes est indissociable du comportements d’innovation de ces firmes. Nous avons précédemment noté que les stratégies sont regroupées en plusieurs catégories, correspondant à autant d’ « idéal‑type » 1373 . Chacune des stratégies regroupe en réalité un ensemble gradué des différentes caractéristiques qui les définissent. Cela implique que certaines firmes peuvent posséder quelques unes des caractéristiques de plusieurs stratégies. A titre d’exemple, Freeman et Soete indiquent que les grandes firmes multi‑produits de la chimie ou de l’électricité combinent des éléments des stratégies offensive et défensive.

La stratégie offensive consiste à donner à la firme qui l’a adoptée le premier rôle en termes de techniques et de marché, en lui permettant de précéder ses concurrents dans l’introduction de nouveaux produits. Les activités de R&D au sein de telles firmes sont essentielles, puisque, dans la mesure où les résultats scientifiques et technologiques sont accessibles à toutes les firmes, le résultat de cette stratégie repose sur un lien très fort avec le système scientifique et technologique, sur une R&D indépendante extrêmement solide ou sur une exploitation plus rapide des nouvelles opportunités ou encore sur une combinaison de ces trois avantages. Cette stratégie pose notamment la question de la pertinence pour une firme de poursuivre des activités de recherche fondamentale. L’idée est que pour profiter des avancées dans le domaine scientifique, les firmes doivent entretenir des liens particuliers avec les laboratoires de recherche fondamentale. Or, un des liens privilégiés, mis en avant par Rosenberg en 1990 1374 , consiste à participer à des réseaux de recherche fondamentale 1375 .

La stratégie défensive correspond à la mise en place d’activités de R&D aussi intensives que celles des firmes ayant opté pour une stratégie offensive. L’objectif de la firme qui suit une stratégie défensive est d’éviter les risques potentiels que peuvent rencontrer les premiers innovateurs et de prévenir les erreurs que ceux‑ci peuvent commettre. Pour la firme « défensive », le but est de profiter de l’expérience des premiers innovateurs et de s’infiltrer dans la brèche qu’ils ont ouverte 1376 . Aussi, ses activités de R&D sont moins liées à la recherche fondamentale que celles des firmes « offensives ». En général, les firmes « défensives » détiennent des compétences particulières dans l’ingénierie et le marketing. Leurs produits contiennent généralement des améliorations par rapport aux produits des premiers innovateurs. Freeman et Soete expliquent que des firmes « défensives » le sont parfois par la force des choses, si leur stratégie offensive a été contrecarrée par une innovation réussie par un concurrent. Ils notent que la R&D défensive est particulièrement représentative des marchés oligopolistiques et étroitement liée à la différenciation des produits. Concernant la protection des résultats de l’innovation par les brevets, Freeman et Soete expliquent que les innovateurs « offensifs » et les innovateurs « défensifs » ont une vision différente du rôle du brevet. Pour les premiers, le brevet correspond à une protection effective pour profiter d’une situation de monopole et/ou percevoir des revenus pour couvrir les dépenses initiales de R&D. Pour les seconds, le brevet est un moyen de ne pas être hors course dans le domaine technologique concerné et d’affaiblir la situation de monopole des « innovateurs offensifs ». Aussi, les innovateurs « défensifs » cherchent la plupart du temps à déposer des brevets sur des inventions qui améliorent l’innovation des firmes « offensives ».

La stratégie d’imitation et de dépendance s’applique aux firmes dont l’ambition est de suivre les innovateurs mais sans jamais chercher ni à les talonner ni à les dépasser. Le choix pour ces firmes consiste à acquérir des licences si le délai entre l’innovation initiale et la leur est court et à acheter des savoir‑faire si le délai est long. Les firmes « imitatrices » ne recherchent pas expressément à déposer des brevets et s’il leur arrive de le faire, cette activité n’est jamais une fonction centrale. Parallèlement, ces firmes ont des activités de services et de formation largement moins développées que celles des firmes « offensives » et « défensives », dans la mesure où ces dernières ont déjà réalisé ce travail ou parce qu’elles s’appuient sur la « socialisation de ces activités » 1377 à travers le système national d’enseignement. Pour que l’imitateur intervienne sur le marché, il doit bénéficier d’avantages par rapport aux innovateurs. Ils correspondent essentiellement à des avantages en termes de coûts, concernant le travail, les investissements en installation, l’énergie ou les matériaux. L’importance de l’un ou de l’autre de ces coûts dépend évidemment des types d’industries. Néanmoins, la réussite des imitateurs dépend largement du rythme du changement technique, impulsé par les premiers innovateurs, et de leurs propres activités d’ingénierie et de production. Comme les économies d’échelle statiques et dynamiques ne leur profitent généralement pas, leurs activités de R&D doivent être fortement liées aux activités de production. Cela implique que les imitateurs doivent consacrer de nombreux efforts pour être informés des changements scientifiques et techniques. Freeman et Soete expliquent que de telles firmes correspondent souvent à un département ou à un magasin d’une firme plus grande et que très souvent ces firmes sont ensuite rachetées. Cette remarque signifie que l’activité « pure » d’imitation est peu stable et implique au contraire de fréquents changements. Au final, « bien que les faillites et les rachats puissent être fréquents, il y a aussi un flux de nouvelles entrées » 1378 .

La stratégie traditionnelle et opportuniste concerne les firmes qui n’ont pas l’intention de changer les produits qu’elles proposent sur le marché si celui‑ci ne manifeste pas une demande allant dans le sens d’une modification ou si la concurrence ne la conduit pas à opérer de tels changements. Freeman et Soete expliquent qu’à l’instar des firmes imitatrices, les firmes traditionnelles n’ont pas la capacité technique et scientifique de proposer des changements de produits importants. Par contre, elles peuvent proposer des changements dans le design concernant la manière de faire plutôt que les techniques. Ce type de firme occupe une place particulière dans la classification proposée par Freeman et Soete, puisqu’ils précisent que « ‘les firmes traditionnelles peuvent opérer sous les strictes conditions de la concurrence s’approchant du modèle de concurrence parfaite des économistes. Elles peuvent au contraire opérer sous des conditions de monopoles locaux dispersés basés sur une faible communication, une absence d’économie de marché développée et des systèmes sociaux pré‑capitalistes’ » 1379 . Les caractéristiques technologiques de ces firmes correspondent essentiellement à leurs métiers. Certaines d’entre elles sont susceptibles de devenir des firmes innovatrices (« offensives » et « défensives ») après un apprentissage progressif de la manière d’innover.

Concernant la classification proposée par Freeman et Soete et avant de souligner ses implications pour les politiques publiques, deux remarques conclusives s’imposent. La première concerne le fait, encore une fois, que cette typologie repose sur l’étude d’industries précises au sein de plusieurs pays. Aussi, la répartition des firmes selon les industries n’est pas identique pour tous les pays. Les structures nationales sont déterminantes, ou pour être plus précis, les comportements des firmes sont inscrits plus largement dans un système national d’innovation spécifique. La deuxième remarque concerne le rejet des hypothèses formulées par la théorie traditionnelle sur le comportement des firmes. Ce point transparaît à plusieurs reprises dans les explications des différents comportements que nous venons de présenter. Freeman et Soete expliquent que la présentation des caractéristiques des firmes de leurs différents chapitres ne va pas dans le sens des théories de la firme qui postulent la connaissance parfaite et la maximisation en ce qui concerne le futur. L’argument avancé sur la base du raisonnement « comme si » est également rejeté. Cette proposition stipule que les firmes n’ont effectivement pas la capacité de décrire l’ensemble des états futurs. Mais les résultats sont supposés identiques à une situation où les firmes maximiseraient effectivement leurs profits, parce que la concurrence a permis aux firmes, qui se sont comportées comme celles qui auraient maximisé leurs profits, de survivre et de croître aux dépens des autres. Nous avons déjà présenté le contre‑argument avancé par Nelson et Winter en 1982 1380 . Reprenons simplement le commentaire de Freeman et Soete, qui notent que « ‘toutefois, comme Hodgson [1992]’ ‘ 1381 ’ ‘ et Winter [1986b] l’ont affirmé de manière convaincante, cette explication est à peine plus crédible que la version originale. Ni l’évolution biologique, ni l’évolution des firmes et des industries ne conduit à l’optimalité ’» 1382 .

Dans la deuxième partie, nous avons montré les difficultés à élaborer une théorie évolutionniste de la firme 1383 . Freeman et Soete [1997] en sont évidemment conscients et indiquent que leur chapitre sur les stratégies d’innovation des firmes n’est finalement qu’une modeste contribution à la compréhension de ces stratégies. Ils notent que ‘«’ ‘ la discussion dans ce chapitre n’est pas voulue comme une théorie alternative du comportement de la firme. Une telle théorie requiert un plus grand effort d’intégration dans les sciences sociales. Mais elle est voulue pour indiquer les types de questions qui doivent être appréhendés par n’importe quelle théorie qui tente d’expliquer les réponses de la firme en termes d’adaptation et d’innovation au changement technique, aussi bien qu’aux changements de prix de ses inputs et sur le marché de ses produits ’» 1384 . En fait, les comportements des firmes que nous venons de présenter, tels que les conçoivent Freeman et Soete, dépendent certes des structures nationales, mais aussi des caractéristiques des politiques publiques. Freeman et Soete expliquent que « ‘la stratégie qu’une firme est capable ou désireuse de suivre est fortement influencée par son environnement national et par la politique gouvernementale. (...) L’interaction complexe de l’environnement national et de la stratégie de la firme ne peut pas être traitée en détail ici. Toutefois, il est important de signaler un point simple, mais fondamental, selon lequel de nombreuses firmes du groupe offensif sont des firmes des Etats‑Unis, alors que la plupart des firmes des pays en développement sont des imitatrices, dépendantes ou traditionnelles, avec l’Europe dans une position intermédiaire’ » 1385 .

Le fait d’insister sur les aspects dynamiques des comportements des firmes a une conséquence importante pour la définition des politiques publiques qui doivent prendre l’hétérogénéité des firmes en considération. Dans un travail sur les structures d’innovation, Malerba et Orsenigo [1995] focalisent leur attention sur les relations entre la taille des firmes et leurs activités d’innovation pour en tirer des conclusions sur les structures d’innovation de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et du Royaume‑Uni 1386 . Leurs conclusions sont finalement complémentaires de celles avancées par Freeman et Soete [1997]. Ces derniers font ressortir des caractéristiques nationales particulières pour les firmes, mais assez semblables pour les économies européennes. Or, Malerba et Orsenigo montrent que « ‘des similarités remarquables émergent au sein des pays dans les structures des activités d’innovation pour chaque classe technologique. Ce résultat indique nettement que les ’ ‘«’ ‘ impératifs technologiques ’ ‘»’ ‘ et les facteurs spécifiques en termes technologiques (étroitement liés aux régimes technologiques) jouent un rôle majeur quant à la détermination des structures des activités d’innovation au sein des pays ’» 1387 .

Mais le plus intéressant concerne une remarque finale avancée par Malerba et Orsenigo [1995] sur les politiques en faveur de l’innovation. La dernière phrase de leur article explique qu’ « ‘en ce qui concerne la politique, les implications sont qu’une des premières occupations de l’action gouvernementale doit porter sur la création, le renforcement et l’élargissement d’un groupe central d’innovateurs cohérents et continus, en complément des actions en faveur du soutien de l’innovation dans les nouvelles petites firmes’ » 1388 . Nous proposons de reprendre ces questions dans le cadre des commentaires présentés par Metcalfe [1995]. Concernant la « politique technologique dans un monde évolutionniste » 1389 , Metcalfe en décline trois aspects : favoriser la génération d’une forme de variété technologique, renforcer la collaboration entre les agents impliqués dans le développement économique et sélectionner les technologies. Dalum, Johnson et Lundvall [1992], dans une contribution à l’ouvrage collectif édité par Lundvall sur les systèmes nationaux d’innovation, s’interrogent sur la « politique publique dans une société d’apprentissage » 1390 . Ils distinguent six points sur lesquels le gouvernement doit se pencher afin de soutenir les processus d’apprentissage. Il s’agit des « moyens d’apprendre », des « incitations pour apprendre », des « capacités à apprendre », de l’ « accès à la connaissance pertinente », de la « mémorisation » et de l’ « oubli », et de l’ « utilisation de la connaissance » 1391 .

Les moyens d’apprendre concernent le système national d’enseignement et de formation. Le rôle croissant des technologies de l’information et de la communication nécessite une adaptation de ce système à laquelle doivent travailler les politiques publiques. Concernant ce qui se passe au sein de la firme, Dalum, Johnson et Lundvall expliquent que « ‘les nouvelles formes d’organisation dans les firmes, qui ont délibérément accru la flexibilité, mettent en avant le besoin de revoir la spécialisation au sein des systèmes de formation industrielle. Les anciennes distinctions entre les travailleurs non‑qualifiés, semi‑qualifiés et qualifiés deviennent moins pertinentes dans la production intensive en connaissances’ » 1392 . L’intervention publique pour renforcer la capacité d’apprendre au niveau de la firme est finalement complémentaire de l’action au niveau de l’enseignement et de la formation pour renforcer les moyens d’apprendre. Dalum, Johnson et Lundvall expliquent que le gouvernement doit intervenir en diffusant l’information sur les changements organisationnels opérés par les firmes leaders vers les autres firmes en supportant financièrement les innovations organisationnelles et l’expérimentation. Les incitations pour apprendre au niveau de la firme passent essentiellement par la coopération entre les départements des firmes, entre les firmes et entre le secteur public et les firmes. Les moyens à mettre en œuvre proposés correspondent à des systèmes d’incitation permettant de renforcer la « rationalité communicative » 1393 et les comportements coopératifs. L’accès à la connaissance pertinente va dans le même sens. Comme les processus d’innovation reposent sur une combinaison d’anciennes et de nouvelles connaissances, le meilleur moyen pour les firmes d’avoir accès à la part tacite de ces connaissances est de s’inscrire dans des réseaux. Les programmes gouvernementaux en faveur des réseaux de formation sont une forme intéressante de soutien aux projets de coopération. La diffusion de la connaissance passe également par une capacité de mémorisation et d’oubli de l’ensemble du système sur laquelle le gouvernement peut intervenir. Concernant la mémorisation, les agences gouvernementales peuvent agir pour favoriser la diffusion des nouvelles connaissances ou au niveau des firmes, en sélectionnant celles « ayant un avenir » 1394 . Pour l’oubli, consistant à abandonner les compétences obsolètes, le gouvernement peut agir en faisant face aux coûts du changement que doivent supporter les agents pour passer d’une activité déclinante vers une activité prometteuse.

La question de l’utilisation des connaissances fait référence aux effets négatifs de certaines technologies polluantes ou utilisant des ressources non‑renouvelables. Cette question normative, abordée dans la première section de ce chapitre, dépasse largement le cadre de l’économie et fait référence, selon Dalum, Johnson et Lundvall [1992], aux processus démocratiques au sein des pays sur le statut de telles technologies. Ils notent ainsi que la mobilisation du maximum d’agents économiques dans les processus d’évaluation des technologies renforce l’efficacité de la régulation. Par ailleurs, ils expliquent que les gouvernements peuvent aussi agir sur le développement de trajectoires technologiques dans des domaines comme la santé, la faim, la pollution, les énergies renouvelables comme ils l’avaient fait pour la technologie militaire. L’ensemble des propositions formulées par Dalum, Johnson et Lundvall recoupe les commentaires de Metcalfe [1995] sur l’intervention en faveur de la sélection des technologies et du renforcement de la collaboration entre les agents. D’un point de vue théorique, cette représentation fait elle‑même référence à deux éléments du noyau dur du programme de recherche évolutionniste, que nous avons présentés dans la deuxième partie, sur la nécessité d’un mécanisme de sélection dans les processus évolutionniste et d’un mécanisme de renforcement des unités de sélection « choisies » 1395 . Quant à un autre mécanisme nécessaire aux processus évolutionnistes, celui concernant la création de diversité, Nelson [1988a] note que « ‘le système de financement gouvernemental de la recherche universitaire a émergé seulement après que d’autres propositions de financement ont été testées et ont échoué. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’expérimentations organisationnelles qui ont lieu. La coopération industrielle dans le financement des technologies génériques est privilégiée. Aux Etats‑Unis, on assiste à l’émergence de nouveaux arrangements liant l’industrie à la recherche universitaire, qui sont initiés dans certains cas par l’industrie et dans d’autres cas par des programmes gouvernementaux. Il est trop tôt pour juger quelles nouvelles voies seront fructueuses et survivront et lesquelles ne le seront pas. Toujours est‑il qu’elles ont lieu. De telles expérimentations institutionnelles peuvent être la force la plus durable de ce système ’» 1396 . A condition qu’à un certain moment, les mécanismes de sélection et de renforcement agissent quand les « meilleurs » arrangements auront été déterminés.

Notes
1363.

« They are also essential for efficient innovation, and may predominate in the diffusion of technical change in many branches of industry », Freeman ‑ Soete [1997], p. 5.

1364.

« Agriculture was the typical example but the case for technical consultancy and research services to support small and medium‑sized firms (SME) in many industries was advocated and implemented », Freeman ‑ Soete [1997], p. 372.

1365.

« The combined effect of technical innovations, organizational innovations and scale economies in the growth of industrial R&D and of large firms, it also demonstrates the vitality of small firms », Freeman ‑ Soete [1997], p. 32.

1366.

« Innovation and the Strategy of the Firm », titre du chapitre 11.

1367.

« Classify the strategies which firms adopt as either offensive, defensive, imitative, dependent, traditional or opportunist », Freeman ‑ Soete [1997], p. 194.

1368.

« They differ from those which are normally considered in relation to the economist’s model of perfect competition, since two of the assumptions of this model are perfect information and equal technology. Both of these assumptions are completely unrealistic in relation to most of the strategies we are considering, but they are perhaps relevant for the traditional strategy which may be followed by firms producing a standard homogeneous commodity under competitive conditions », Freeman ‑ Soete [1997], p. 266, souligné par nous.

1369.

Voir p. 446.

1370.

« The Micro‑Economics of Innovation: the Theory of the Firm », titre de la deuxième partie.

1371.

« The Rise of Science‑Related Technology », titre de la première partie.

1372.

« Part Two turns from the historical account to a more systematic analysis of the role and small firms in different types of innovation and the conditions for success in innovation. The function of Part One is to provide a realistic foundation for the more systematic discussion in Parts Two and Three and to demonstrate which features of the system have changed and which have been relatively continuous throughout the history of capitalist economies », Freeman ‑ Soete [1997], pp. 32‑33.

1373.

« Ideal types ».

1374.

Rosenberg N. [1990], « Why Do Firms Do Basic Research with Their Own Money? », Research Policy, vol. 19, no. 2, April, pp. 165‑175.

1375.

Dans la première partie, nous avons cité un travail de Mansfield [1996] dans lequel il insiste sur le fait que de nombreuses innovations de produits ou de processus mises en place par les firmes américaines entre 1975 et 1985 n’auraient pas pu exister sans la R&D fondamentale menée dans les laboratoires publics. Voir p. 121.

1376.

Dans la deuxième partie, nous avons présenté le modèle de Silverberg, Dosi et Orsenigo [1988] dans lequel plusieurs simulations numériques sont proposées pour voir les résultats des firmes selon leurs choix d’adopter la technologie au potentiel plus élevé dès le début ou d’attendre que d’autres firmes l’aient adoptée afin de profiter des améliorations. Les résultats dépendent évidemment aussi de l’importance de l’apprentissage qui se produit au cours du temps. Voir pp. 332 et suivantes.

1377.

« The socialization of these activities ».

1378.

« Although bankruptcies and take‑overs may be common, there is also a stream of new entries », Freeman ‑ Soete [1997], p. 281.

1379.

« Traditional firms may operate under severely competitive conditions approximating to the perfect competition model of economists, or they may operate under conditions of fragmented local monopoly based on poor communications, lack of a developed market economy, and pre‑capitalist social systems », Freeman ‑ Soete [1997], p. 282.

1380.

Voir p. 305.

1381.

Hodgson G. [1992], « Optimisation and Evolution: Winter’s Critique of Friedman Revisited », Newcastle Polytechnic, Department of Economics.

1382.

« However, as Hodgson [1992] and Winter [1986] have convincingly argued, this story is barely more credible than the original version. Neither biological evolution, nor the evolution of firms and industries, leads to optimality », Freeman ‑ Soete [1997], p. 284.

1383.

Dans la section 4 du troisième chapitre, voir pp. 304 et suivantes.

1384.

« The discussion of this chapter is not intended as an alternative theory of firm behaviour. Such a theory requires a greater integrative effort in the social sciences. But it is intended to indicate the kind of issues which must be embraced by any theory which seeks to explain the firm’s innovative and adaptative responses to technological change, as well as to price changes in its factor inputs and the market for its products », Freeman ‑ Soete [1997], p. 285.

1385.

« The strategy which a firm is able or willing to pursue is strongly influenced by its national environment and government policy. (...) The complex interplay of national environment and firm strategy cannot be dealt with in detail here. But it is important to make the simple but fundamental point that many firms in the offensive group are United States firms, while most firms in the developing countries are imitative, dependent or traditional, with the Europe in an intermediate position », Freeman ‑ Soete [1997], p. 275.

1386.

Les objectifs de cet article sont présentés ultérieurement, voir p. 561.

1387.

« Remarkable similarities emerge across countries in the patterns of innovative activities for each technological class. This result suggests strongly that « technological imperatives » and technology‑specific factors (closely linked to technological régimes) play a major role in determining the patterns of innovative activities across countries », Malerba ‑ Orsenigo [1995], p. 62.

1388.

« As far as policy is concerned, the implications are that a primary focus of government action should be on creating, strengthening and widening a core group of consistent and continuous innovators, as a necessary complement to actions directed towards the support to innovation in new, small firms », Malerba ‑ Orsenigo [1995], p. 64.

1389.

« Technology Policy in an Evolutionary World », titre d’une section de l’article.

1390.

« Public Policy in the Learning Society », titre de l’article.

1391.

Respectivement « means to learn », « incentive to learn », « capability to learn », « access to relevant knowledge », « remembering », « forgetting » et « utilizing knowledge ».

1392.

« New organizational forms in firms, which have increased flexibility as their goal, point to a need to review the specialization within the systems for industrial training. Old distinctions between respectively unskilled, semi‑skilled and skilled workers become less relevant in knowledge‑intensive production », Dalum ‑ Johnson ‑ Lundvall [1992], p. 303.

1393.

« Communicative rationality ».

1394.

« With a future ».

1395.

Voir p. 269.

1396.

« The system of government funding of university research arose only after various other proposals for funding have been tried and failed. At the present time there are a lot of organizational experiments going on. Industry cooperation in the finance of generic research is now the rage. In the United States there has been a surge of new arrangements linking industry to university research, in some cases initiated through government programs. It is too early to judge which new departures will be fruitful and survive and which will not. But they are going on. Such industrial experimentation may be the most durable strength of the system », Nelson [1988a], p. 326.