4.3) Les effets générationnels

La pensée d’une époque trouve son origine dans au moins deux sources essentielles : premièrement dans les idées et opinions qui l’ont précédée ; un auteur est marqué par un héritage idéologique, par une filiation théorique. Il s’appuie toujours en effet, explicitement ou implicitement, soit pour la réfuter, soit pour la conforter, sur une pensée « fondatrice ». L’idéologie sur une période donnée s’explique deuxièmement par le « terreau social » et le « contexte historique » dans lesquels elle s’inscrit 82  ; chaque époque se caractérise par un climat idéologique particulier qui la définit. Ce dernier donne en général naissance à des courants de pensée à partir desquels se forment des groupes de penseurs, qui trouvent dans la publication de revues, dans les académies, dans les sociétés savantes notamment, un cadre social de‘ « fermentation intellectuelle et de relation affective, à la fois pépinière et espace de sociabilité »’ 83 .

Les « phénomènes de génération » 84 permettent dans cette perspective d’expliquer la constitution du processus par lequel une pensée devient dominante sur une période de temps déterminée. Chaque génération est en effet témoin d’évènements plus ou moins marquants qui forment leur sensibilité et expliquent pour partie les choix et les engagements idéologiques d’une époque 85 . Les auteurs, issus d’une « matrice »commune à la fois institutionnelle et politique, bien que pouvant s’opposer sur des points de doctrine, possèdent tous des sensibilités voisines constitutives d’« événements fondateurs » ayant marqué leurs années de formation intellectuelle 86 . Une génération ne se définit pas par le critère de l’âge mais par rapport à la réceptivité des évènements fondateurs ; un même auteur pourra ainsi appartenir à plusieurs générations différentes et développer pour chacune des points de vue différents. Le contexte ne fournit pas non plus les clés d’une explication totale, mais permet de fixer les limites à l’intérieur desquelles une génération s’exprime. Il s’agit donc pour ce qui nous concerne de voir dans quelle mesure les « phénomènes de génération » s’appliquent à la pensée associationniste, et, s’ils peuvent nous aider à sélectionner un ensemble d’auteurs représentatifs.

Cette notion de génération permet en outre de procéder à une périodisation de l’histoire des idées. La constitution de générations représentatives offre en effet des points de repère précis sur lesquels peut s’effectuer un découpage historique cohérent. Cependant, la délimitation d’une période reste souple dans la mesure où on n’exclut pas la possibilité de tenir compte de textes débordant en amont ou en aval le marquage temporel effectué. Aussi, il n’est pas question ici d’entreprendre un inventaire exhaustif des auteurs ayant développé l’idée d’association, mais de repérer les évènements marquants de la période considérée, générateurs de génération, qui peuvent fournir des éléments de compréhension de l’évolution conceptuelle de l’idée d’association.

La pensée associationniste est ponctuée à notre sens par trois « temps forts ». Ils ne se définissent pas chacun par un « événement fondateur » mais davantage par un climat politique, économique et social spécifique 87 . Ils ont donné lieu de plus à l’émergence de courants de pensée notoires autour desquels se sont constituées des générations d’auteurs. Générations à la fois reconnues en leurs temps et suffisamment restreintes par leur taille pour entreprendre aujourd’hui de les étudier 88 . Cependant, il faut bien se garder d’appliquer aveuglément la notion de génération à l’histoire de la pensée de l’association pour une raison essentielle. Au sein des périodes que nous avons découpées, les doctrines économiques de l’association ne se sont souvent pas développées uniformément mais par « strates », reprenant, prolongeant ou s’opposant aux théories les précédant. Le fouriérisme, par exemple à partir de 1834, sous l’égide de Victor Considérant, bien que se déclarant disciple de Charles Fourier, s’inspire fortement du courant saint-simonien qui l’a précédé. Les économistes libéraux, relativement attentistes dans la décennie 1830, réagissent avec retard à partir des années 1840 dans le Journal des Economistes notamment aux projets de réorganisation sociale des saint-simoniens et des fouriéristes.

1. Le développement de la question sociale, tenant son origine de la promulgation de l’égalité des Droits individuels de la Révolution française de 1789, détermine la première période considérée entre 1830 et 1852. Elle voit le développement d’une pensée du social, et partant de l’association, au travers de laquelle on distinguera ici trois groupes générationnels. Un premier réunit les écoles saint-simonienne et fouriériste d’où naît ensuite un groupe d’auteurs dits « socialistes ». Un second rassemble les auteurs influencés par les idées catholiques et d’où émerge le catholicisme social 89 . Enfin, un troisième regroupe les auteurs libéraux parmi lesquels il faut distinguer les économistes rassemblés autour du Journal des économistes à partir de 1842, qui ne développent pas à proprement parler de théorie de l’association, et, des auteurs non spécifiquement économistes mais participant à la réflexion sur l’associationnisme.

Ces trois courants de pensée naissent d’une matrice commune marquée par l’héritage de la Révolution française qui fonde le problème général sur lequel se développent les idées de cette période : l’égalité politique introduite par La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) suffit-elle à garantir l’égalité économique ? De fait, est-ce que les libertés individuelles sont respectées si les inégalités économiques se maintiennent ? N’est-il pas alors nécessaire de trouver de nouveaux moyens, l’association notamment, qui puissent assurer une égalité et une liberté relatives ?

Nous considérerons ces trois courants de pensée cités précédemment au travers des écrits de Prosper Enfantin (1796-1864), de Philippe Buchez (1796-1865), de Pierre Leroux (1797-1871), de Victor Considérant (1808-1893), et d’Alexis de Tocqueville (1805-1859) dans un premier temps. Nous traiterons dans un second temps de certains textes caractéristiques de l’économie politique libérale, le plus souvent réagissant aux réformes sociales proposées par les courants naissants des différents socialismes, et parus dans Le Journal des économistes, puis nous terminerons sur les écrits de Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865).

2. La seconde période entre les années 1863 et 1890 reste toujours marquée par la persistance de la question sociale, mais la révolution de 1848 et la période bonapartiste, autoritaire, qui lui succède, influence la pensée associationniste de cette époque ; les premières politiques de libéralisation orchestrées par Napoléon III provoquent l’émergence de pratiques coopératives et voient se perpétuer un ensemble de courants de pensée sur l’association qui trouvent leurs origines dans l’associationnisme de 1848. On reprendra ici une « grille de lecture » identique à la période précédente en distinguant courants socialistes, catholiques sociaux et libéraux. On rendra compte parmi ceux-ci des théories de l’association de Léon Walras (1834-1910), Charles Gide (1847-1932) et Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916).

3. La troisième et dernière période comprise entre 1900 et 1928 voit l’intervention croissante de l’Etat en matière sociale 90 . Les milieux réformateurs du catholicisme social 91 , du socialisme et du courant républicain placent l’Etat comme un acteur essentiel dans la lutte contre les inégalités économiques et sociales. Le solidarisme, doctrine sociale des républicains radicaux, introduit le principe selon lequel les devoirs sociaux sont nécessaires à la résolution de la question sociale ; une répartition socialement juste des ressources économiques ne saurait provenir du jeu « naturel » des lois économiques, mais requiert une réorganisation sociale dans laquelle l’Etat devient gestionnaire de la dette sociale qui lie les individus d’une même collectivité.

De fait, à partir de la fin des années 1890 mais surtout au tournant du XXe siècle, la société française se transforme sous l’action d’une part, du développement de lois qui concrétise effectivement le poids croissant de l’Etat en matière sociale, et d’autre part, de l’institution des lois sur les « libertés publiques » qui favorise sa démocratisation 92 . Les termes du débat relatif à la question sociale se posent donc entre le choix d’une solidarité associative, libre et désintéressée et l’option pour une solidarité publique, imposée et redistributive. La première trouve encore des adeptes, mais perd de son influence ; ces derniers vont cependant développer des idées sur l’association proches des doctrines sociales du XIXe siècle. Ils expriment leurs craintes de la solidarité étatique qui selon eux est susceptible de conduire à une restriction des libertés individuelles. Ils choisissent le principe d’association notamment car il reste un moyen social respectueux de l’autonomie individuelle retrouvant sur ce point les préoccupations d’une majorité des penseurs de l’association du XIXe siècle. Nous considérerons pour cette période les écrits de Marcel Mauss (1873-1950), d’Elie Halévy (1870-1937), et, d’Albert Schatz (1879-1940).

La première période de 1830-1852 parce qu’elle donne lieu à un nombre important d’écrits sur l’association et parce qu’elle fonde la pensée de l’association est traitée dans une première partie ; la seconde et troisième périodes sont analysées ensemble dans une seconde partie.

Les trois « temps forts » proposés correspondent chacun au développement de nouvelles perspectives tant dans la théorie que dans la pratique associative. Nous en trouvons les causes pour partie dans l’évolution du contexte économique, politique et social 93 .

1. La première période (1830-1852) débute avec la révolution de juillet 1830 et l’avènement de la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe) et finit avec l’instauration du Second Empire de Napoléon III (2 décembre 1852). Les revendications sociales des nouvelles couches urbaines mais aussi rurales 94 et la prise de conscience des intellectuels des besoins de la population font du principe d’association un sujet d’études et de pratiques sociales au cours de cette période. L’associationnisme de 1848 représente à ce titre une situation « paradigmatique » ; l’association en effet fédère les écrits théoriques, les débats politiques et les activités économiques. La fin de l’année 1848 (10 décembre) marque une rupture car elle correspond au début de la période bonapartiste et au développement d’une législation répressive à l’encontre des formes associatives. L’associationnisme continue à ponctuer certaines manifestations collectives, mais son importance va en phase décroissante.

L’individualisme naissant 95 est critiqué par le courant romantique 96 , d’où émergent différentes « utopies sociales » ; le « sentiment » se substitue à l’intérêt individuel. Elles provoquent des réactions contrastées de la part des réformateurs sociaux et des économistes libéraux 97 . Très schématiquement, trois types de doctrines sociales s’affirment : le catholicisme social, le socialisme et le libéralisme (dont l’économie politique classique) ; elles développent pour certaines une conception du désintéressement qui reste fortement marquée par les évènements politiques et sociaux de la période. La question sociale, constitutive de la contradiction entre égalité politique et égalité économique, trouve une solution dans l’association. Dans cette perspective, l’économie associative fondée sur le désintéressement remplace avantageusement le système économique concurrentiel sans requérir l’intervention de l’Etat 98 . En ce sens, l’idéal de la liberté et l’égalité politique et économique est atteint.

2. La seconde période (1863-1890) débute avec l’amorce d’une politique plus libérale du gouvernement bonapartiste 99  ; elle se termine au moment où se développent les prémices de l’Etat social. Le soutien des pouvoirs publics aux associations de production dans la perspective des élections des années 1863-1864, et, les expériences étrangères en matière de coopération (Equitables Pionniers de la Rochdale (1844), les banques d’avances en Prusse développées par F-H. Schultze-Delitzsch, etc.) expliquent en grande partie le premier renouveau associatif de cette période 100 . Le concept de coopération fédère un ensemble de pratiques visant, soit à favoriser l’intégration sociale des classes ouvrières, soit à contester la répartition inégalitaire du capital et du travail, et, faciliter le changement économique et politique. Cette croissance des associations coopératives reste brève et s’amenuise au début des années 1870. Diverses raisons expliquent ce recul, tenant au fonctionnement propre des coopératives 101 , ou bien, au fait que ce développement coopératif exprime avant tout un souhait politique et non une volonté réelle des classes ouvrières 102 . Une seconde étape associative s’amorce à partir du début des années 1880 marquée par deux évènements majeurs, d’une part, les tentatives de fédéralisation du mouvement coopératif 103 , et d’autre part, les critiques socialistes développées à l’encontre de l’idée coopérative ; n’agissant que dans le champ économique, les associations coopératives sont jugées pour certains auteurs socialistes un moyen inadapté et inefficace dans la mesure où la transformation économique recherchée suppose un changement politique préalable. Enfin, deux faits marquants méritent ici notre attention. La reconnaissance, premièrement, par le décret du 26 mars 1848 des Sociétés de secours mutuel favorise la diffusion des associations mutualistes dans la société française, mais elles connaissent un développement principalement urbain et conditionné par la croissance industrielle 104 . La liberté syndicale, deuxièmement, accordée par la loi du 21 mars 1884, constitue une date importante puisqu’elle met fin à l’interdiction du droit d’association de la loi Le Chapelier du 14 juin 1791. Aussi, cette progressive reconnaissance législative des pratiques associatives (mutuelliste, syndicale, coopérative 105 ) contribue à différencier des actions collectives économique, politique et sociale que l’associationnisme des années 1830-1848 ne distinguait pas.

L’analyse de l’idée d’association est systématisée au cours de cette période, mais moins comme une fin en soi que comme un moyen de subvenir aux besoins des classes les moins aisées et de réduire les inégalités économiques. En donnant accès à tous théoriquement à la propriété du capital, il abaisse le risque de conflits sociaux provoqués par l’antagonisme des intérêts entre les travailleurs et les détenteurs des instruments de production. Néanmoins, l’association reste dans certaines doctrines sociales un objectif propre auquel est subordonnée l’organisation économique, mais cette tendance se révèle beaucoup moins influente que ce qu’elle était dans l’associationnisme de 1848.

3. Enfin, la troisième période (1900-1928)  s’inscrit au cœur d’un mouvement général de libéralisation de la vie économique, politique et sociale 106 . Elle se termine avec la loi sur les assurances sociales obligatoires (16 mars 1928) qu’il est courant d’interpréter comme une préfiguration de l’Etat-providence 107 . Les pratiques associatives perdent leur caractère spontané et innovant par l’encadrement et le contrôle auxquels elles sont soumises 108 . De plus, l’introduction de la liberté d’association répond davantage de préoccupations politiques que d’un souci économique ou social 109 . De fait, la législation contraint à distinguer des activités auparavant associées transformant les représentations et les attentes des projets mis en oeuvre.

Cette fonctionnalisation de la pratique associative 110 ne reste pas ainsi sans conséquences sur le contenu et le rôle que les théoriciens prêtent à l’idée d’association. Elle devient plus un complément à l’Etat qu’une fin en soi perdant de fait un des fondements constitutif de la pensée associationniste du XIXe siècle. L’association, organisation intermédiaire située entre l’Etat et les activités économiques marchandes, remplit dans cette perspective certaines fonctions nécessaires au bon fonctionnement du système économique. L’idée d’une organisation économique associative subsiste cependant parmi certains auteurs 111 .

Notes
82.

J.-F. Sirinelli [1986, p. 98].

83.

J.-F. Sirinelli [1988b, p. 217].

84.

Voir J.-F. Sirinelli [1986 ; 1987 ; 1988a] et R. Girardet [1983].

85.

Les évènements politiques, pris ici dans un sens large, sont « fondateurs des mentalités : l’événement soude une génération et son souvenir restera jusqu’à son dernier souffle une référence chargée d’affectivité, positive ou négative, jusqu’à ce que, avec sa disparition, il s’abîme dans l’inconscience de la mémoire collective où il continuera cependant d’exercer quelque influence insoupçonnée », R. Rémond [1988, p. 386].

86.

J.-F. Sirinelli [Ibid., p. 14]. Un événement ne donnera naissance à une génération que si les personnes qui la constituent n’ont pas été témoins d’autres évènements le précédant pouvant donner lieu à la constitution d’une génération ; la génération formée alors tire « de sa gestation un bagage génétique et de ses premières années d’existence une mémoire commune, donc à la fois l’inné et l’acquis qui la marquent pour la vie », J.-F. Sirinelli [1987, p. 11].

87.

Climats sur lesquels nous reviendrons dans l’introduction de chacune des parties.

88.

On évite ainsi les deux écueils signalés par J.-F. Sirinelli, d’une part d’analyser un courant d’idées autour duquel aucun groupe social clairement constitué ne s’est formé, et d’autre part, de procéder à « une reconstruction a posteriori » de la génération étudiée, J.-F. Sirinelli [Ibid., p. 9].

89.

Catholicisme social qui reste encore très hétérogène, voir J.-B. Duroselle [1951].

90.

Le social devient progressivement une technique de gouvernement qui se substitue pour partie aux initiatives individuelles, irrégulières et facultatives et jugées peu satisfaisantes. La loi sur les accidents du travail en 1898 constitue à ce titre une date charnière dans l’administration du social par l’Etat : elle reconnaît en effet un risque social du travail en dehors de toute responsabilité ou de faute individuelles ; voir F. Ewald [Op. cit., pp. 223-322]. Plusieurs lois parallèlement sont votées, limitant le travail des femmes et des enfants à 11 heures et l’interdisant la nuit (1892), promulguant l’assistance médicale gratuite (1893), la protection de la santé publique (1902) ou encore instituant les retraites ouvrières et paysannes (1910), etc.

91.

Léon XIII publie le 15 mai 1891 l’encyclique Rerum Novarum sur la condition des ouvriers.

92.

Le délit de grève est aboli en 1864, le droit de former des coalitions est obtenu en 1884, la liberté d’association est donnée en 1901, etc. Néanmoins, les premières années de la IIIe République restent marquées par une politique certes, d’inspiration républicaine, mais de la partie libérale de ce courant de pensée ; il s’agit de promouvoir les « meilleurs dans un cadre libéral où l’Etat s’efforcera de favoriser l’égalité des chances » (S. Bernstein [1992, p. 190]). L’Etat ne s’engage pas encore directement dans le social, mais s’appuie encore fortement sur l’initiative privée au travers des associations ou d’autres groupements intermédiaires ; ce n’est qu’entre les deux guerres mondiales qu’il développera véritablement son action dans la gestion du social, voir Y. Cohen [1995].

93.

Ce découpage en trois phases répond avant tout à des exigences d’ordre heuristique. Il permet en effet de mettre en valeur les périodes théoriques et pratiques importantes dans l’analyse des rapports association-désintéressement. Ces trois « temps forts » sont en effet constitutifs des conditions économiques, sociales et politiques de la période étudiée. Les textes marquants des auteurs étudiés non compris dans ces trois « temps forts » seront évidemment pris en compte. Nous privilégions en outre dans ce découpage l’histoire des idées (ce travail est d’abord une analyse des textes avant d’être une étude des pratiques). Enfin, nous nous centrons essentiellement sur la pensée économique et sociale française.

94.

Voir F. Demier et J.-F. Mayaud [1997].

95.

L’individualisme de cette période découle de la théorie du Droit Naturel et de la philosophie des Lumières (L. Dumont [Op. cit.]). Les deux principales doctrines sociales du moment, le socialisme et le libéralisme, partent en ce sens de mêmes présupposés théoriques : l’individu passe avant le social. J. Garnier, économiste libéral du Journal des Economistes, reconnaît d’ailleurs qu’il y a souvent une confusion de faite entre les économistes et les socialistes car les deux traitent « d’économie sociale ou des intérêts de la société », J. Garnier [1848, p. 376]. Comme le souligne R. Gonnard, le socialisme et l’économie libérale diffèrent sur les moyens mais non sur l’objectif poursuivi : « le socialisme économique, comme l’individualisme économique » accepte « comme but, l’individu », R. Gonnard [1947 (1921-1922), p. 256].

96.

Le terme « Romantisme » est utilisé à partir du début du XIXe siècle (1804) (Trésor de la langue française, P. Imbs [1974]). Il est d’abord un mouvement littéraire et artistique visant à réhabiliter certaines valeurs du Moyen-Âge (chrétiennes, etc.), puis d’autres formes de pensée comme le rêve, la mélancolie, l’imagination, etc. Il influence enfin la pensée sociale notamment au travers du courant utopique (Saint-Simon, Fourier, etc.) (voir P. Bénichou [1977]). C’est sur ce dernier point que le courant romantique parait important pour notre propos.

97.

La distinction entre réformateur social et économiste libéral ne laisse pas entendre que nous établissons une séparation tranchée entre principes normatifs et théories positives. L’économie politique en tant que discipline et savoir autonomes n’est pas encore complètement constituée à cette période (bien que J.-B. Say ait déjà posé les principales conditions de la coupure entre économie et politique) ; nous effectuons cette distinction par souci de présentation.

98.

Les interventions de l’Etat restant encore très limitées en matière économique et sociale.

99.

Le droit de grève est reconnu (25 mai 1864, loi Ollivier sur les coalitions) ; la nature du régime bonapartiste change avec la loi sur la presse (11 mai 1868) et la loi sur les réunions (6 juin 1868).

100.

J.-P. Potier et C. Hébert [1990]

101.

Leurs difficultés à constituer un capital de départ ou bien les contraintes que leur imposent la concurrence ou la fiscalité, etc.

102.

G. Delabre et J.-M. Gautier [1985].

103.

Une Chambre Consultative des Associations Ouvrières de Production de France est créée en décembre 1884, et, en juillet 1885, une Chambre Consultative des coopératives de consommation se constitue.

104.

B. Gibaud [1998].

105.

Reconnaissance reconnue par le titre III de la loi du 24-29 juillet 1867 sur les Sociétés à capital variable.

106.

La IIIe République s’étend du 4 septembre 1870 au 10 juillet 1940. Il n’y a donc pas d’évènements politiques majeurs qui influent sur la théorie et la pratique associative, mais plutôt un ensemble de faits favorisant le développement des libertés publiques débutant dès les années 1880 avec les lois sur l’enseignement primaire obligatoire et gratuit (1881), sur l’autorisation des syndicats (1884), etc. au terme desquelles la liberté d’association (1901) est introduite. Pour autant, il n’est pas question ici d’assimiler l’idée d’association à ce seul contrat juridique. Certains théoriciens sociaux ne résument pas en effet au cours de cette période l’association à la seule organisation juridique (notamment par la loi 1901), mais lui prête encore dans la lignée de la pensée associationniste des années 1830-1848 des fonctions beaucoup plus vastes soit en tant que moyen soit en tant que fin économique, politique et sociale.

107.

Loi concernant les salariés de l’industrie et du commerce et instaurant en outre les congés de maternité.

108.

La régulation législative englobe les associations au sens de la loi 1901, mais aussi et avant tout les coopératives et les organisations mutualistes.

109.

Les objectifs des gouvernements successifs sont moins économiques, nécessitant de subvenir aux besoins essentiels, et sociaux, requérant de réduire les inégalités existantes, que politiques pour lesquels la gestion des mouvements et groupements collectifs devient primordiale, D. Reynié [1998].

110.

Les pratiques associatives ne poursuivent plus dans cette perspective d’objectifs économiques globaux combinant production et répartition, mais se consacrent uniquement à la redistribution laissant les activités productives à l’économie marchande, voir J.-L. Laville [1995].

111.

On s’intéressera particulièrement à cette littérature dans cette troisième partie.