1.2) Le faible poids de l’Etat social

Parallèlement, l’intervention sociale de l’Etat et des institutions publiques durant la période 1830-1848 reste très faible. Elle se limite à deux actions : premièrement, à un service effectué par les hôpitaux et les hospices principalement pour les personnes indigentes invalides dont le contrôle et la régulation sont assurés par les municipalités, et deuxièmement, aux activités entreprises par les bureaux de bienfaisance sous la direction des préfets mais n’existant que dans les villes et dans très peu de communes rurales 164 . On compte ainsi aussi sur les pratiques de charité privée, à l’origine de la création de diverses institutions sociales à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Parmi les plus représentatives, on note les Caisses d’épargne créées en 1818 à Paris 165 , les Sociétés de secours mutuels qui voient leurs activités croître, réglementées et rationalisées durant les années 1830, les Assurances populaires dont la première forme date de 1787 (sous le nom de compagnie royale d’assurances), les institutions patronales, les asiles, les crèches, les économats, les logements et les jardins ouvriers 166 . Le patronage social, qui fait de la misère ouvrière non une question politique mais un problème moral, inspire les pratiques charitables de cette période ; les personnes disposant des ressources importantes prennent conscience des obligations morales qui les lient aux plus pauvres en subvenant à leurs besoins matériels ; la réalisation de cette philanthropie ne relève pas d’une obligation juridique, légale, mais uniquement d’initiatives volontaires et libres. Néanmoins, pratiquement, les œuvres charitables privées se développent fréquemment avec l’appui de l’aide publique déployant de fait un ensemble d’interventions sociales de sources doctrinales variées, allant du catholicisme, du protestantisme à la philanthropie laïque et libérale, et marquant une complémentarité des ressources publique et privée 167 .

Cependant, dès les premières enquêtes ouvrières du début des années 1830, les gouvernants s’aperçoivent de la faible portée des institutions sociales charitables et commencent à penser à l’extension des services publics 168 . Pour autant et globalement, le patronage social marque la première moitié du XIXe siècle en comblant les dysfonctionnements de l’ordre social libéral basé sur l’idée de responsabilité individuelle 169 . Les premières pratiques assurantielles, préfigurant l’Etat social de la fin du XIXe siècle, ne débutent réellement que sous le Second Empire 170 .

Notes
164.

Voir R. Castel [Op. cit., pp. 231-234]. Par ailleurs, A. Gueslin estime qu’au milieu du XIXe siècle, 8.5 % environ de la population est concernée par l’assistance publique ; 10 % de la population relève par ailleurs de l’assistance publique et privée, A. Gueslin [1998b, pp. 85-86].

165.

Les Caisses d’épargne, d’abord pensées par les libéraux comme une des solutions possibles à la pauvreté, montrent vite leur inefficacité dès les années 1834-1835, au cours desquelles les statistiques de l’époque révèlent que la proportion d’ouvriers souscrivant un livret est faible, et, que la population pauvre hors travail ne peut placer aucune épargne, voir A. Gueslin [Op. cit., p. 215].

166.

F. Ewald [1986, p. 73].

167.

A. Gueslin [Op. cit. pp. 184-193].

168.

M. Riot-Sarcey [1998, pp. 220-225].

169.

La politique libérale vise à « disposer [d’une] machine sociale » qui « n’ait pas besoin d’être gouvernée, ou le moins possible » en faisant de chacun le seul responsable de ses actes et de sa situation économique et sociale., F. Ewald [Op. cit., p. 51].

170.

Les lois relatives à l’institution d’une Caisse nationale des retraites du 18 juin 1850 marquent, pour F. Ewald, la première tentative par l’Etat de l’introduction d’un droit social, F. Ewald [Op. cit., pp. 208-213].