b - Une méthode sociale et une méthode historique

Pour E. Halévy et C. Bouglé, la méthode sociale vise à la compréhension des phénomènes économiques en partant de leur inscription sociale ; la méthode historique suppose que les facteurs économiques n’obéissent pas à des règles immuables mais subissent des évolutions constantes, le plus souvent positives, favorisant le progrès social 342 . Ce double axe méthodologique permet aux saint-simoniens de développer leurs critiques à l’encontre de la société du début du XIXe siècle encore trop marquée selon eux par un antagonisme de classes.

Le présupposé de l’inscription sociale des faits économiques conduit les saint-simoniens à remettre en cause la propriété privée sur deux points allant plus loin que n’avait été Saint-Simon 343 . D’une part, celle-ci n’assure pas une répartition juste de la richesse produite ; la classe oisive, sans rien produire, consomme l’équivalent de la valeur que la classe productive est contrainte de lui céder 344 . D’autre part, la propriété privée n’assure pas une efficacité économique maximale en ce sens qu’une partie des moyens de production est mal employée restant la propriété des non producteurs 345 . Enfin, suivant la méthode historique, les saint-simoniens montrent que la propriété des instruments du travail par la classe oisive a perdu de l’importance surtout à partir du moment où l’intérêt des capitaux a amorcé une baisse régulière 346 . P. Enfantin reprend ainsi la distinction entre « période critique » et « période organique » de Saint-Simon. Enfin, les saint-simoniens, identiquement au maître, font de l’économie politique, la science de l’industrie, à laquelle ils rattachent le système politique. Les lois de l’économie politique seront ainsi définitivement établies dès lors que la marche du progrès social, l’« organisation sociale industrielle », sera reconnue de tous 347 . Fidèle à Saint-Simon, P. Enfantin suppose que l’exploitation du globe par des travailleurs associés doit à terme se substituer au principe féodal de l’« exploitation de l’homme par l’homme », mais alors que Saint-Simon expliquait cette évolution par l’observation des faits historiques, les saint-simoniens en donnent une explication déterministe, voire religieuse. Ainsi, pour E. Halévy : ‘« c’est, à les en croire, l’amour de l’ordre et de l’unité, inné à l’homme, immanent à la nature, qui explique la naissance et le développement de la société et de la science elle-même »’ 348 .

Notes
342.

E. Halévy et C. Bouglé [Ibid., p. 42].

343.

Voir C. Gide et C. Rist [Op. cit., pp. 237-249] sur les points suivants développés.

344.

La classe des producteurs « la plus nombreuse vit de son travail » alors que la classe oisive « se repose et vit du travail de la première », P. Enfantin [1826e, p. 219].

345.

Voir le paragraphe suivant sur la nouvelle organisation sociale proposée par P. Enfantin.

346.

L’évolution de la société témoigne d’un accroissement des richesses et d’une baisse concomitante du taux de l’intérêt ; de fait, « l’influence sociale des oisifs est aujourd’hui plus faible qu’à toute autre époque du passé, celle des travailleurs s’est accrue », P. Enfantin, [Ibid., p. 218].

347.

P. Enfantin, [Ibid., p. 245].

348.

E. Halévy [Op. cit., p. 73].