2) La réorganisation économique associative de P. Buchez

P. Buchez introduit vraisemblablement au sein de l’école saint-simonienne du Producteur l’idée d’association 513 . Elle constitue dans cette première acception davantage un moyen de réunir autour de croyances communes les membres d’un groupe social donné qu’un principe d’organisation économique. Il s’agit en ce sens de favoriser les comportements désintéressés, les « sentiments de philanthropie », et d’abaisser l’influence des intérêts égoïstes de la classe « oisive », prélevant sur le travail des producteurs leurs principaux moyens de subsistance 514 . Il récuse pourtant après son départ de l’école saint-simonienne ses premiers écrits, mais il va en rester proche notamment dans son ouvrage Introduction à la science de l’histoire ou science du développement de l’humanité (1833). Sa conversion au catholicisme qui date de 1829 ne s’affirme réellement que dans les années 1830-1835 dont le Traité complet de philosophie du point de vue du catholicisme et du progrès (1838) marque l’aboutissement 515 . Celle-ci est parallèle de la création du Journal des Sciences Morales et Politiques devenant LEuropéen 516 au sein duquel P. Buchez expose ses premiers projets d’association ouvrière de production 517 . L’idée d’association devient dans cette perspective un principe d’organisation sans pour autant exclure le mobile d’action. Deux conséquences sont donc attendues du principe d’association : le développement des sentiments désintéressés d’une part, et, l’amélioration des conditions matérielles des classes travailleuses d’autre part. Sur ce dernier point, P. Buchez devient beaucoup moins optimiste à partir de l’année 1837 où il mise sur les pouvoirs publics plutôt que sur l’association pour entreprendre les changements sociaux requis 518 . Cette période correspond en fait à une transformation de la conception de l’action individuelle de P. Buchez qui fait alors de la réforme morale un préalable à la réforme économique. En d’autres termes, le but collectif prime sur les fins individuelles ; l’association devient dans cette perspective d’autant plus efficace que la pratique du sacrifice individuel est répandue en son sein. Cette évolution pose alors le problème du contenu du projet économique de P. Buchez : repose-t-il toujours sur une organisation économique associative ou bien implique-t-il désormais le développement d’institutions non plus égalitaires et volontaires mais hiérarchiques et coercitives ? La question reste posée ; nous ne saurions ici la trancher mais simplement constater ce changement de perspective 519 . Aussi, il importe d’abord de rendre compte de la doctrine économique développée dans LEuropéen au travers de ses projets d’associations ouvrières (2.1). Nous exposons ensuite les textes sur l’association relatifs au thème du désintéressement, du Producteur saint-simonien au Traité complet de philosophie du point de vue du catholicisme et du progrès (2.2).

Notes
513.

Il utilise l’expression « association générale » dans un texte sur la médecine (P. Buchez effectue des études de médecine et fonde en 1826 le Journal des progrès des sciences et des institutions médicales qu’il arrêtera de publier en 1830, voir J. Régniez [1938]) dans lequel il oppose le principe de concurrence, « mobile dominant des médecins comme des marchands » et de faible efficacité, au principe d’association, permettant d’obtenir par le travail collectif des résultats largement supérieurs aux seules productions individuelles ; il remplace ensuite dans d’autres contributions au Producteur « association » par le terme « collectisme » ; ce dernier est ainsi directement apparenté à un mobile d’action défini comme le « sentiment d’un but social », P. Buchez [1826a, p. 176 ; 1826b, p. 194]. Voir aussi P. Régnier [Op. cit., pp. 270-286]

514.

P. Buchez [Ibid., p. 208].

515.

J.-B. Duroselle [1951, pp. 80-97].

516.

Le premier numéro paraît le 3 décembre 1831 et c’est au cinquième numéro qu’il devient l’Européen jusqu’au 27 octobre 1832.

517.

Ces articles constituent le résultat d’une série de conférences effectuées en 1830 à la Société des Amis du Peuple.

518.

F. A. Isambert [1967, p. 81].

519.

J.-B. Duroselle suppose que la réforme par les associations de production n’est pas remise en cause alors que F. A. Isambert note l’orientation « collectiviste » prise par l’économie sociale de P. Buchez, F. A. Isambert [Ibid., p. 81 ; pp. 280-285].