Tous les observateurs sociaux de ces premières décennies du XIXe siècle, des libéraux aux réformateurs sociaux, s’accordent sur l’existence de la question sociale. D’aucuns ne nient l’existence d’inégalités croissantes au sein des sociétés française et anglaise notamment, et surtout, de la concomitance d’une richesse économique toujours plus abondante et d’un creusement des niveaux de revenus, et, de la formation d’une nouvelle pauvreté sociale causée par l’industrialisation naissante. Les économistes libéraux du Journal des Economistes dans leur grande majorité en attribuent la responsabilité principalement aux comportements individuels ; l’imprévoyance de certaines catégories sociales explique pourquoi malgré le développement du système productif les inégalités tendent à s’accentuer. Il existe certes, certains défauts d’organisation, mais ils ne sauraient déterminer entièrement la cause des nouvelles misères sociales. En outre, généralement, si l’organisation sociale peut être améliorée, elle le sera par une pratique plus étendue de la libre concurrence et de la propriété privée. Les auteurs « associationnistes » ne partent pas du même présupposé. Ils imputent en effet à l’organisation sociale la cause de la croissance des inégalités entre les travailleurs et les propriétaires. Cette hypothèse, particulièrement marquée chez C. Fourier et V. Considérant, constitue le point de jonction entre la critique du système économique existant et la nouvelle organisation sociale proposée. Il s’agit non pas de favoriser les pratiques « vertueuses » de prévoyance, d’épargne, etc. mais de modifier le milieu social existant qui ne contribue en fait qu’à réprimer le libre développement des actions individuelles et entraîner des conflits d’intérêts 688 . Donc partant d’une étude du système économique en place et constatant les effets sociaux négatifs auxquels conduit cette organisation, V. Considérant, en suivant la démarche de C. Fourier, recherche un moyen susceptible de contrecarrer les inégalités sociales existantes. Il le trouve dans l’association. L’organisation économique par l’association se substitue dans cette perspective au fonctionnement concurrentiel de l’économie amenant richesse économique, bien-être social et harmonie des intérêts 689 .
Ce changement de perspective des liens entre organisation sociale et actions économiques induit une approche spécifique de l’économie politique ; elle diffère de la conception des économistes classiques qui à la suite de J.-B. Say conçoivent l’organisation sociale comme relevant du non-économique (2.1). L’organisation de l’association repose sur certaines règles de fonctionnement économique qui nous le verrons divergent de la doctrine saint-simonienne (2.2). Elle assure enfin l’identité des intérêts particuliers et de l’intérêt général répondant au but d’amélioration économique, sociale et morale des différentes catégories de la population (2.3).
« La forme sociale actuelle », pour V. Considérant, « est contraire aux intérêts généraux des individus et des nations ; elle appauvrit et affame le corps social », V. Considérant [1834a, p. 115].
V. Considérant [Ibid., p. 47].