b - La question sociale résolue par la liberté individuelle et la concurrence

De toutes les solutions, pourtant différentes, proposées par R. Owen, C. Fourier en passant par Saint-Simon, aucune n’a conduit à des résultats tangibles. Il en reste néanmoins un principe, l’association, pour lequel aucune définition précise, selon C. Dunoyer n’a été développée. Si celle-ci est contraire à « la liberté et [à] la propriété », la société ne pourra que régresser économiquement, voire moralement 878 . A l’inverse, si elle est compatible avec le régime de la concurrence, alors l’état d’association existe déjà et ne peut être développé plus en avant. En effet, les travailleurs les plus démunis sont bien associés à la production en ce sens qu’ils disposent de la part ‘« proportionnée à la seule avance qu’[ils] font »’ 879 . Il n’existe donc pas de « formule d’association » miracle qui permettrait comparativement au système concurrentiel d’améliorer la situation des travailleurs les plus pauvres. L’association devant rester volontaire, facultative, elle ne constituera un moyen efficace que si la production ainsi réalisée est plus rentable que la production qu’un entrepreneur pourrait effectuer individuellement 880 .

Sous cette condition, C. Dunoyer reconnaît qu’il convient en effet de « rechercher les applications pratiques les plus utiles qu’on pourrait faire du principe de l’association volontaire et privée au soulagement de la misère » 881 . Mais la meilleure alternative réside encore dans la réalisation complète d’une organisation économique libre régulée par la concurrence. Celle-ci permet en effet l’apprentissage pour chaque travailleur des « vertus privées » de prévoyance et de prudence dont dépend le progrès économique et social 882 . Car s’il persiste encore un état social inégalitaire, il résulte uniquement de « l’immodération des désirs ». Les besoins sont en effet trop élevés par rapport aux capacités productives de la société ; l’éducation morale sera seule capable d’opérer la baisse du niveau des besoins correspondant à l’état effectif de la richesse économique.

La solution à la question sociale réside non dans les « artifices d’organisation sociale » des réformateurs mais dans l’exercice d’une contrainte morale sur les conduites individuelles, et spécifiquement sur celles des travailleurs pauvres. Or, la concurrence parce qu’elle favorise l’incitation et l’émulation au travail reste le moyen économique le plus efficace pour endiguer le paupérisme. La défense du principe de concurrence aboutit finalement à une contre-offensive des économistes libéraux à l’encontre de l’idée d’association, principe fédérateur de la pensée réformiste. Cette critique déjà bien développée par C. Dunoyer va être étendue dans d’autres contributions au Journal des Economistes sur le désintéressement supposé du principe d’association.

Notes
878.

C. Dunoyer [1842b, p. 43].

879.

C. Dunoyer [Ibid., p. 41]. « La concurrence n’exclut pas plus l’esprit d’association que l’esprit d’organisation […]. Elle n’exclut aucune forme équitable et praticable d’associations particulières et de fait, les populations s’y trouvent unies sous une multitude d’aspects », C. Dunoyer [Ibid., p. 28]. En fait, l’organisation associative englobe ici aussi bien l’institution philanthropique que la Société de commerce ou en Commandite en passant par l’association coopérative. Elle peut réunir dans un même « contrat de société » les personnes et leur travail, le capital, ou les trois à la fois.

880.

Voir l’entrée « Association » du Dictionnaire d’Economie politique pour ce point, A. Clément [1873 (1853b), p. 81].

881.

C. Dunoyer [Ibid., p. 43].

882.

Il faut ainsi instruire la population que le bien-être individuel découle essentiellement de leurs « constants efforts, de leur activité patiente, de leurs lentes accumulations […] de toutes les vertus nécessaires à la transformation de leur existence », C. Dunoyer [1842b, p. 134].