b - Les objections au principe d’association

En suivant J. Garnier 892 , on peut distinguer trois obstacles majeurs au développement du principe d’association : un premier direct qui découle du problème soulevé précédemment et deux autres déduits du fonctionnement même de l’association 893 . Premièrement, l’établissement d’une économie associative conduira à la violation des libertés individuelles. Elle contraindra ceux qui ne veulent pas s’associer, car comment convaincre, comme le souligne F. Bastiat, ‘« tous les hommes à la fois à renoncer à ce mobile qui les fait mouvoir »’, c’est-à-dire à l’intérêt individuel ? 894 . Deuxièmement, une répartition des richesses basée sur les seuls besoins sans tenir compte des efforts de chacun des associés conduira nécessairement à une non-incitation au travail et à un accroissement des revenus sans travail. De fait, le niveau des richesses n’augmentera pas, mais aura même tendance à baisser dans la mesure où les travailleurs associés ne trouveront plus aucun stimulant à la production. Il y a donc une seconde atteinte aux libertés individuelles du fait que les travailleurs ne perçoivent pas un revenu équivalent à la valeur de leurs efforts consentis. Enfin, troisièmement, l’organisation interne de l’association remettra en cause l’égalité des droits pour au moins trois raisons. Une première difficulté consiste à déterminer le niveau de rémunération des travaux réalisés ; sur quelle base l’établir, quelle valeur donner au travail ? Comment concilier les intérêts des producteurs associés si certains estiment que leurs travaux valent plus que ce qui leur a été attribué ? Etc. 895 La deuxième difficulté tient aux privilèges dont les dirigeants de l’association seront tentés de s’accaparer ; poussés par leurs intérêts particuliers, la solidarité associative ne garantira plus alors le droit mais se transformera en un instrument de « spoliation » à la disposition des « chefs industriels » 896 . Une troisième et dernière difficulté concerne les relations entre associés égaux. Rien en effet ne permet de garantir que les actions désintéressées ne soient pas utilisées à des fins stratégiques lorsque l’information fera défaut.

En conséquence de quoi, la répartition des richesses économiques en fonction des besoins de chacun des associés ne pourra être pratiquée que sous les trois conditions suivantes. D’abord, tous les associés doivent être assurés que chacun d’entre eux apporte un désintéressement équivalent dans le processus de production. Ensuite, l’association doit mettre en place une institution compétente pour répartir les biens suivant les besoins de chacun. Enfin, la production réalisée doit être suffisamment importante pour couvrir l’ensemble des demandes individuelles exprimées 897 . Mais même ces conditions respectées, les réformateurs sociaux achopperont toujours sur le problème de conciliation des libertés individuelles et de l’association. C’est pourquoi celle-ci doit rester un principe facultatif, relevant de pratiques individuelles volontaires, et non le produit d’une action publique contraignante, raisonnée et consciente. Aussi, ces différentes critiques développées à l’encontre du courant réformiste depuis les premières publications du Journal des Economistes allèrent connaître leur paroxysme au cours des évènements de l’année 1848.

Notes
892.

Sur J. Garnier, voir R. Arena [1991]. J. Garnier (1813-1881) participe à la création de la Société d’Economie Politique ; il en devient le secrétaire puis le secrétaire perpétuel en 1849. Il devient le troisième rédacteur en chef du Journal des Economistes, à la suite d’Adolphe-Jérôme Blanqui et d’Hippolyte Dussard à la fin de l’année 1845 (1845-55 et 1866-1881) ; il gérait depuis 1844 l’Annuaire de l’économie politique et de la statistique. Il est chargé de 1842 à 1844 d’un Cours d’économie politique à l’Athénée Royal et occupe à partir de 1846, la Chaire d’économie politique et de statistique à l’Ecole des Ponts et Chaussées. Pour R. Arena, J. Garnier manifeste son hostilité à l’égard des thèses socialistes à partir de 1845 mais sa critique devient systématique surtout à partir de 1848, R. Arena [Op. cit., pp. 135-138].

893.

J. Garnier [1846, pp. 109-114].

894.

F. Bastiat [1848a, p. 118].

895.

J. Garnier [Op. cit., p. 113 ; p. 117].

896.

J. Garnier [Ibid., p. 115]. Comment faire, s’interroge F. Bastiat, pour que l’intérêt individuel dans l’association ne produise pas des effets encore plus négatifs qu’en dehors « où les prétentions injustes et l’intérêt de l’un sont au moins contenus par la résistance de tous ? », F. Bastiat [Op. cit., p. 118].

897.

J. Garnier [1846, p. 115].