a - Les effets négatifs de l’« organisation du travail »

Une raison morale et une raison économique expliquent le refus de l’« organisation du travail  ». Le principe d’association implique selon les économistes libéraux le développement de la « contrainte légale », c’est-à-dire l’intervention de l’Etat. Il n’y a donc plus égal accès à la liberté économique dans la mesure où les membres de la société les plus riches matériellement se voient forcés de contribuer au bien-être social ; l’action publique se substitue à l’action privée. Dès lors, l’individu ‘« s’ôte la faculté de débattre le sacrifice qu’il veut faire en échange’ ‘ de ces services, il se prive du droit de les refuser ; il diminue la sphère de sa liberté »’. C’est pourquoi l’Etat doit se restreindre ‘« à la sûreté des personnes et des propriétés »’ 900 . Les socialistes se voient ainsi accusés de soutenir une conception « antisociale » par leur projet d’« organisation du travail » 901 . La croissance constante de la liberté individuelle au sein des sociétés modernes est en effet une « loi du progrès social » dont la « réalité sociale » apporte tous les jours la preuve. Le principe d’association constitue bien une régression sociale en ce sens qu’elle redonne à l’Etat une partie des droits que les individus avaient acquis à ses dépens 902 . Les économistes libéraux ne s’opposent pas à l’association et à l’« organisation du travail », mais sous la condition du respect des libertés individuelles. Autrement dit, la seule organisation économique acceptable suppose le maintien de la libre concurrence et la proscription de toute ingérence de l’Etat en matière économique 903 .

Au niveau économique, ensuite, l’« organisation du travail » est contre-productive. L’intervention des pouvoirs publics entraîne en effet une hausse des impôts, une baisse consécutive des capitaux privés entraînant celle des emplois demandés et de l’épargne, et donc une moindre accumulation du capital 904 . L’Etat par l’octroi de taxes, ôte une partie des capitaux disponibles et abaisse l’effet incitatif de la propriété privée car, souligne F. Bastiat, ‘« prévoir […] réprimer ses appétits, gouverner ses passions, sacrifier le présent à l’avenir, se soumettre à une privation actuelle en vue d’un avantage supérieur mais éloigné, ce sont des conditions essentielles pour la formation des capitaux et les capitaux, nous l’avons entrevu, sont eux-mêmes la condition essentielle de tout travail’ ‘ un peu compliqué et prolongé »’ 905 . Le niveau des salaires étant dépendant des conditions d’accumulation du capital, l’institution d’associations de production revient par conséquent à « proclamer l’éternité de la misère » 906 . C’est encore enlever une partie des revenus de travailleurs pour en reverser à d’autres ; l’effet ne pourra que provoquer une augmentation de la pauvreté ouvrière 907 .

L’association n’est plus à partir de 1848 pour les économistes libéraux qu’un moyen mis à la disposition de l’Etat pour modifier les « lois naturelles » de la production et de la répartition des richesses. Elle diffère des premières réformes économiques développées dans les années 1830 par les auteurs associationnistes. Au moins deux raisons l’expliquent. D’une part, le Journal des Economistes semble avoir surtout porté sa critique sur la réforme économique de Louis Blanc 908  ; or, on sait que les critiques virent dans l’Organisation du travail un appel direct à l’intervention de l’Etat dans le système économique bien que L. Blanc s’en défendit. D’autre part, les évènements de 1848, dont les fameux « Ateliers Nationaux » institués en Février 1848, sont a priori pour beaucoup dans cette interprétation de l’idée d’association. Aussi, les économistes libéraux n’en restent pas à cette seule critique, et, vont définir ce qu’ils entendent par principe d’association.

Notes
900.

F. Bastiat [1848c, p. 330 ; p. 325].

901.

« Ils n’ont jamais étudié son organisation sévère et ses indestructibles lois, ceux qui osent la soumettre à ces combinaisons sévères », C. Coquelin [Op. cit., p. 3].

902.

A. Clément [Op. cit., p. 243].

903.

Certaines nuances doivent être apportées sur ce dernier point. Quelques contributeurs du Journal des Economistes ne sont pas hostiles à certaines actions économiques de l’Etat par exemple dans les situations de crises économiques (voir T. Fix [1845a ; 1845b] et la partie 2 suivante). De plus, la condamnation de l’intervention étatique concerne ici uniquement les actions directes sur la production et la répartition des richesses. On peut ainsi parfaitement concevoir d’autres types d’interventions, notamment en taxant la propriété par succession comme l’invite à le faire De Colmont, De Colmont [1848, pp. 206-207].

904.

F. Bastiat [1848c, p. 329].

905.

F. Bastiat [1848e, p. 16].

906.

M. Wolowski [Op. cit., p. 307].

907.

Car si l’on veut que la société, ou l’Etat, subvienne à « toutes les existences qui ne savent pas se soutenir par elles-mêmes, on multiplie inévitablement ces existences, on énerve toutes les facultés utiles, on propage tous les vices générateurs de la misère, et l’on accroît sans cesse la population parasite aux dépens des travailleurs qui, ayant courageusement accepté la responsabilité de leurs propres besoins, pourvoient encore à tous ceux de l’Etat », A. Clément [Op. cit., p. 251].

908.

Il est de tous les réformateurs celui qui mérite le plus d’attention pour J. Garnier, J. Garnier [1845, pp. 421-427].