2.1) Les moyens pour vaincre le paupérisme

Il peut paraître surprenant de trouver ici T. Fix, économiste « ultra-libéral », que rien a priori ne semble devoir concilier avec le réformisme économique 930 . Il est vrai qu’il suit l’hypothèse de l’existence de « lois naturelles » de la production et de la répartition que l’on ne sauraient modifier sans ‘« troubler la production en ruinant les entrepreneurs d’abord, et les ouvriers ensuite »’ 931 . Mais deux autres points doivent aussi être pris en compte. Premièrement, les solutions proposées par T. Fix s’opposent explicitement aux réformes socialistes ; elles sont morales avant d’être économiques, mais il n’exclut pas la possibilité d’une intervention continue de l’Etat ; la réforme morale doit précéder l’action de l’Etat mais il n’empêche qu’est esquissée l’idée d’une aide bénéfique de l’Etat pour la lutte contre le paupérisme. T. Fix effectue par ailleurs une longue étude du principe d’association et ne rejette pas notamment l’idée d’association ouvrière dans la production ou encore de constitution d’institutions proches des futures  « bourses du travail » 932 . Enfin, deuxièmement, T. Fix fait parti des économistes libéraux favorable à l’association 933  ; ces trois textes s’inscrivent dans ces « remèdes partielles » dont le libéralisme économique dans le courant des années 1840 a été le promoteur 934 . T. Fix demeure cependant convaincu de la prévalence des « lois naturelles » de l’économie politique sur toute idée de changement économique ; la réforme par l’association n’amènera en ce sens qu’une modification transitoire du fonctionnement de la production et de la répartition retournant inévitablement par l’action de la concurrence à son équilibre « naturel » 935 . Donc, il s’agit d’une ouverture dans la mesure où un dialogue est instauré entre arguments réformistes et libéraux sans que les premiers ne soient d’emblée critiqués et condamnés pour leur autoritarisme, mais ouverture toute relative car la référence reste un strict libéralisme.

Ainsi, en remontant aux causes du paupérisme, T. Fix montre que les moyens pour mettre fin au paupérisme passent non pas par une réforme économique mais par l’éducation morale des travailleurs (a), et où l’association, à condition de respecter les libertés individuelles, peut constituer dans certaines situations sociales déterminées, un moyen économique approprié (b).

Notes
930.

Y. Breton et M. Lutfalla [Op. cit., p. 9].

931.

T. Fix [1844, p. 39].

932.

T. Fix [1845b, pp. 38-39].

933.

Y. Breton [Op. cit., p. 271].

934.

J. Garnier [1846, p. 127]. Prises de positions moins critiques et modérées dont les économistes libéraux ont fait preuve avant surtout les évènements de 1848 bien que comme le souligne F. Démier « les économistes n’imaginaient pas de rencontre possible entre les idées socialistes et le mouvement social […]. On restait persuadé, à la rédaction du Journal des Economistes que les socialistes, contraints de confronter leurs rêves aux dures réalités de la crise économique, seraient obligés d’abandonner l’essentiel de leur programme », F. Démier [Op. cit., p. 776].

935.

« La concurrence rétablirait bientôt l’équilibre un moment détruit par l’association  ; car il serait absolument impossible d’identifier complètement les deux intérêts en conservant de part et d’autre une pleine et entière liberté, en se maintenant dans le système de l’industrie non réglementée, et en laissant aux maîtres comme aux ouvriers la pleine disposition de leurs facultés réciproques », T. Fix [1845a, p. 318].