a - Les solutions au paupérisme

T. Fix part d’une double constatation. Premièrement, le paupérisme n’est non seulement pas un phénomène récent, apparu avec l’industrialisation de la société, mais de plus, il décroît depuis le XVIIIe siècle 936 . Deuxièmement, s’il existe des inégalités économiques et sociales, elles ne résultent que de l’emploi libre par chacun de ses facultés individuelles ; si donc certains travailleurs se trouvent dans une situation de pauvreté économique, ils ne le doivent qu’à eux-mêmes, c’est-à-dire à une conduite maladroite de leurs compétences personnelles 937 . Le paupérisme n’est par conséquent synonyme d’aucune injustice sociale. T. Fix justifie sur ce point parfaitement sa position d’économiste « ultra-libéral ». Il reste néanmoins que la misère ouvrière constitue selon lui dans la société française un phénomène suffisamment grave pour que les économistes cherchent à la réduire. Aussi, la découverte de moyens efficaces repose sur une analyse préalable des causes du paupérisme. T. Fix en avance deux principales : les « vices » individuels d’une part 938 , et, l’imprévoyance des travailleurs d’autre part. Cette dernière témoigne d’une consommation trop forte comparativement à l’épargne entraînant une détérioration du niveau de vie en période de chômage. Donc, le paupérisme ne provient pas du fonctionnement de l’organisation économique, comme le laissent supposer les réformateurs sociaux, mais résulte des seules conduites individuelles. La révolution libérale a remis en cause les tutelles sociales de la féodalité ; celles-ci avaient certes, l’inconvénient de reposer sur un principe social hiérarchique, mais étaient pour le travailleur ‘« une sauvegarde pour sa moralité, et une garantie pour une vie plus régulière »’ 939 . La liberté a ainsi conduit à une nouvelle forme de paupérisme, différente de l’ancienne pauvreté causée « par l’oppression, par la guerre et par l’ignorance » 940 .

La solution à la question sociale passe dès lors nécessairement par une réforme morale de la population ouvrière dont la réalisation devra répondre aux objectifs suivants : « instruction solide, nécessaire dans toutes les conditions de la vie ; au développement des facultés intellectuelles et des sentiments religieux, et des habitudes d’ordre et de prévoyance » 941 . T. Fix maintient donc fermement son libéralisme économique ; il en accentue même la nature polémique en adoptant une attitude relevant plus du moraliste que de l’économiste 942 . Cependant, c’est surtout dans ses solutions pratiques qu’il montre une attitude beaucoup moins tranchée. Contrairement à certains économistes, il ne croit pas que le seul principe de concurrence suffise au développement moral des travailleurs. C’est pourquoi, il mise sur la triple action de « l’autorité, des maîtres et des ouvriers » pour réaliser le changement des comportements individuels 943 . L’Etat, premièrement, doit adopter des mesures législatives, une « police des manufactures », favorables au travail (lois contre le travail des enfants, sur les conditions de travail, etc.) 944 . Les employeurs, deuxièmement, doivent mener tout type d’action facilitant les conditions et l’organisation du travail. Les ouvriers, troisièmement, doivent recourir au « moyen de l’association » pour effectuer des économies dans leurs dépenses de consommation 945 . T. Fix rappelle que l’objectif premier demeure la « régénération » morale de la population ouvrière et que par conséquent toute action doit n’être envisagée qu’à l’aune de son apport à la poursuite de cet objectif. Aussi, l’intervention de l’Etat semble d’autant plus souhaitée que les employeurs ont nuit au travail des ouvriers depuis que la libéralisation économique a été réalisée 946 . Il faut ainsi créer toutes les conditions favorables à l’épanouissement moral de l’ouvrier de façon à ce qu’il trouve de manière autonome les moyens de son émancipation économique 947 . Car une fois en présence de travailleurs économes et prévoyants, d’une part la protection morale de l’Etat et des employeurs devient inutile, et d’autre part, le principe d’association se présente dès lors aux ouvriers comme un instrument efficace de prospérité économique, étant entendu qu’il s’agit d’une association où la propriété du capital est parfaitement respectée 948 . Pour autant, est-ce que celle-ci ne constitue pas un moyen économique déjà disponible que les ouvriers peuvent utilement développer pour se préserver contre la pauvreté ? Peut-elle en d’autres termes précéder l’« élévation morale » du travailleur afin qu’il en retire un bénéfice économique immédiat ? Là encore, T. Fix montre que la réussite de l’association dans la production dépend directement de la moralité des travailleurs-associés.

Notes
936.

Trois faits l’attestent. D’abord, la propriété foncière a été divisée ce qui a entraîné une hausse du nombre des propriétaires fonciers et des consommations agricoles ; l’augmentation de la production des denrées de subsistance, contrairement à ce qu’avance T. R. Malthus, a été plus forte que l’augmentation de la population. Ensuite, la croissance industrielle a permis de multiplier la production de biens manufacturés. Enfin, les logements ouvriers ont vu leur qualité améliorée, T. Fix [1844, p. 20].

937.

La différence dans les talents doit ici se comprendre comme une différence entre l’ouvrier « inhabile », « paresseux », etc. et l’ouvrier « économe, intelligent et laborieux », T. Fix [Ibid., p. 13].

938.

Ces vices sont l’« ivrognerie et la débauche des ouvriers », T. Fix [Ibid., p. 28].

939.

T. Fix [1845a, p. 294].

940.

T. Fix [1844, p. 19].

941.

Il est vain selon T. Fix de prendre des mesures visant à améliorer la situation matérielle des ouvriers (hausse des salaires, etc.), si ces derniers n’ont pas encore acquis « l’élévation morale » nécessaire à l’utilisation économe et prévoyante de leurs ressources économiques, T. Fix [Ibid., p. 41].

942.

Ainsi, souligne-t-il, il n’est uniquement du ressort du travailleur que de suivre une « conduite morale et régulière, d’être économe, sobre et laborieux », T. Fix [1845a, p. 294].

943.

T. Fix [1844, p. 29].

944.

T. Fix [Ibid., p. 30].

945.

Il s’agit de développer dans ce cas les associations de consommation et de prévoyance (sociétés de secours mutuels, etc.). Les associations dans la production seront introduites plus tard (voir le point b suivant).

946.

« C’est au gouvernement à prendre l’initiative », souligne T. Fix, notamment en développant des « lois protectrices […] en limitant l’étendue des pouvoirs des maîtres », T. Fix [1845a, p. 295].

947.

Les ouvriers « seront mieux régler et débattre leurs intérêts ; leur conduite sera plus sage et plus modérée ; il y aura plus de stabilité et d’ordre dans leurs habitudes », T. Fix [Ibid., p. 299].

948.

L’ouvrier « arrivera facilement aux moyens organiques qui pourront améliorer sa condition. Il trouvera de grandes ressources dans l’association sous le rapport matériel, et il marchera d’un pas plus ferme et plus résolu dans la carrière laborieuse qui lui est assignée par la Providence », T. Fix [Ibid., p. 295].