CHAPITRE 7 : L’ASSOCIATION : UN PRINCIPE AMBIVALENT POUR PIERRE-JOSEPH PROUDHON

Les écrits de P.-J. Proudhon sont nombreux et abordent des sujets très variés. Il n’est pas question ici d’en rendre compte. Nous voudrions simplement distinguer ce qui dans la pensée de P.-J. Proudhon concerne l’idée d’association. Ce dernier va d’abord être un critique virulent des auteurs socialistes leur reprochant la remise en cause des libertés individuelles qu’induit le principe de communauté. Dans le Système des contradictions économiques ou philosophie de la misère (1846), communauté et association sont identiques ; elles entraînent la subordination du capital au travail et la suppression de la propriété et de la concurrence. Or, le sentiment de fraternité sur lequel repose le principe d’association ne saurait à lui seul organiser efficacement et équitablement la production et la répartition des richesses économiques. Il faut non pas substituer l’association à la propriété, le désintéressement à l’intérêt individuel, mais rechercher une synthèse qui combine ces catégories antagoniques 982 . Cette condamnation de l’association socialiste est parallèle à la fameuse critique du droit de propriété développée à partir de Qu’est-ce que la propriété ? Ou recherches sur le principe du droit et du gouvernement. Premier mémoire (1840) 983 . Elles correspondent en fait à une période bien spécifique dans la pensée de P.-J. Proudhon qui commence au cours de l’année 1839 à porter un intérêt croissant à l’économie politique 984 . Jusqu’à la révolution de Février 1848, P.-J. Proudhon va ainsi surtout développer des écrits critiques et moralistes 985 . Son projet de « Banque d’échange » (1848) marque une rupture puisqu’il se ‘« voit forcé de donner à ses idées une forme concrète, aisément saisissable. Le critique doit se faire constructeur »’ 986 . Il s’ensuit une période plus constructive et positive dans laquelle il met au jour la théorie du mutuellisme.

On peut suivre approximativement le même découpage historique concernant l’idée d’association. Peu valorisée pour ses fonctions et ses conséquences dans l’organisation économique dans ses premiers écrits jusqu’à environ l’année 1848, P.-J. Proudhon développe ensuite une pensée de l’association beaucoup moins critique qu’il englobe dans la théorie du mutuellisme. Elle est d’abord dans les écrits précédents 1848, l’association socialiste qui entrave la liberté individuelle bien qu’elle puisse par ailleurs constituer pour les travailleurs un bon apprentissage des règles qui régissent la production et la distribution des richesses économiques 987 . Mais elle devient aussi à partir du projet de la « Banque d’échange » une réalisation possible du principe de mutualité ou de réciprocité dont on trouve les prémices dans la conclusion du Système des contradictions économiques ou philosophie de la misère 988 . D’abord envisagée dans l’échange économique, elle est ensuite transposée à la production dans la troisième édition du Manuel du spéculateur à la bourse (1857) 989  ; l’association devient un moyen de la réforme sociale.

Il convient donc d’abord d’examiner cette première période critique de la pensée de P.-J. Proudhon sur l’association (1) avant de se consacrer ensuite plus spécifiquement au rôle du principe d’association au sein de la théorie du mutuellisme (2).

Notes
982.

Cette idée est posée dès le premier ouvrage De l’utilité et de la célébration du dimanche, considérée sous les rapports de l’hygiène publique, de la morale, des relations de famille et de cité (1839). Il s’agit en effet de trouver  « un état d’égalité sociale qui ne soit ni communauté ni despotisme, ni morcellement ni anarchie, mais liberté dans l’ordre et indépendance dans l’unité. Et ce premier point résolu, il en resterait un second : Indiquer le meilleur mode de transition. Là est tout le problème humanitaire », P.-J. Proudhon [1982 (1839), p. 61].

983.

Voir C. Gide et C. Rist [2000 (1944), pp. 322-332].

984.

A. Tiran et M. Laudet notent que les thèmes relatifs à l’économie politique deviennent omniprésents à partir de juillet-août 1839 dans ses Carnets ; ses lectures concernent surtout les économistes français comme P. Rossi, J.-B. Say, A. Blanqui, Joseph Garnier, Auguste Cournot, etc., M. Laudet et A. Tiran [2000, p. 323].

985.

Voir pour cette distinction dans la pensée de P.-J. Proudhon, M. Leroy [1962, pp. 469-518].

986.

C. Gide et C. Rist [Ibid., p. 322].

987.

P.-J. Proudhon [1982 (1851), pp. 162-165].

988.

P.-J. Proudhon [1846b, pp. 414-416]. Plus tard, dans l’ouvrage posthume De la capacité politique des classes ouvrières (1865), P.-J. Proudhon synthétise la mutualité ou la réciprocité par la formule suivante : « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît ; Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir ». Il s’agit en fait d’une forme d’échange économique qui assure valeur pour valeur, crédit pour crédit, etc. Elle s’inscrit dans le cadre de relations contractuelles, dans lesquelles les protagonistes s’engagent réciproquement, et qui garantit la convergence des intérêts individuels. Il en résulte un échange de services et de biens mutuellement profitables, P.-J. Proudhon [1982 (1865), pp. 186-190].

989.

On suit ici les renseignements précieux d’A. Berthod [1982 (1923-1959), pp. 5-92]. La lecture des Carnets et de la Correspondance de P.-J. Proudhon constitue aussi un bon indicateur de l’évolution de la pensée sur l’association. Il se montre favorable à ce que les associations ouvrières entreprennent « l’exploitation des instruments d’utilité publique » ; celles-ci « sont les foyers de production, nouveau principe, nouveau modèle, qui doivent remplacer les sociétés anonymes actuelles où l’on ne sait qui est le plus indignement exploité, du travailleur ou de l’actionnaire », P.-J. Proudhon [1971, p. 8].