1) La critique de l’association socialiste

P.-J. Proudhon se montre d’abord fortement opposé à l’idée d’association développée par les auteurs « communistes » parmi lesquels il inclut entre autres E. Cabet, P. Leroux, Saint-Simon, C. Fourier, L. Blanc 990 . Il va ainsi autant être critique à l’encontre de la propriété que du principe d’association que les « communistes » entendent lui substituer 991 . Pour autant, il n’en reste pas dès ces années 1840 simplement à cette double condamnation. Plusieurs passages en effet de Qu’est-ce que la propriété ? ou recherches sur le principe du droit et du gouvernement. 1 er mémoire ou encore de Système des contradictions économiques ou philosophie de la misère préfigurent explicitement les principes sous lesquels P.-J. Proudhon décrira l’association « idéale » autant dans l’échange que dans la production 992 . Dans ce dernier ouvrage, le principe de réciprocité, à partir duquel P.-J. Proudhon développera en 1848 son projet d’association de « Banque d’échange » puis plus tard sa conception de l’association ouvrière dans un cadre mutuelliste, apparaît encore plus nettement. Dans la conclusion, il montre que si l’économie politique n’a pas encore atteint la « vérité sociale », elle le doit à sa séparation de la philosophie dans laquelle elle doit trouver les instruments d’une meilleure compréhension de l’organisation sociale 993 . Ainsi, l’objet de l’économie consiste dans la recherche de la justice dans la production et la répartition des richesses, d’une part en déterminant la valeur des biens économiques par le travail qu’ils incorporent, et d’autre part, en partageant les ressources produites à l’aune du travail réalisé. Or, il y aura toujours antinomie entre ‘« travail et capital’ ‘, salariat et privilège, concurrence’ ‘ et monopole, communauté et propriété, plèbe et noblesse, Etat’ ‘ et citoyen, association’ ‘ et individualisme’ ‘ »’ 994 . La tâche de l’économiste revient dès lors à trouver « une loi d’échange, une théorie de mutualité » qui effectue la synthèse « des deux idées de propriété et de communauté » 995

Néanmoins, les critiques de la propriété, sur laquelle nous ne reviendrons pas ici, et, de la communauté, ou de l’association, constituent une étape préalable nécessaire selon P.-J. Proudhon en ce qu’elles permettent de délimiter les améliorations et les alternatives théoriques possibles. En 1846, dans le Système des contradictions économiques ou philosophie de la misère, il opère une évaluation critique du principe de communauté 996 qu’il systématise ensuite dans Idée générale de la Révolution au XIX e siècle 997 . P.-J. Proudhon avance les deux raisons économique et morale qui font qu’il s’oppose au développement d’un tel principe (1.1). Ce refus s’explique par ailleurs par la prise en compte de la conception sociale évolutionniste de la société à laquelle adhère P.-J. Proudhon et qu’il développe dans Qu’est-ce que la propriété ? Ou recherches sur le principe du droit et du gouvernement. premier mémoire. Il s’agit non d’instituer une organisation économique fondée sur le sentiment de fraternité mais sur un principe de justice qui répond à la fois aux fins d’indépendance et d’émancipation individuelles et de sociabilité (1.2).

Notes
990.

P.-J. Proudhon [1846a, pp. 207-218 ; 1846b, pp. 258-311].

991.

Dans De la création de l’ordre dans l’humanité, ou principes d’organisation politique (1843), P.-J. Proudhon ne fait aucune distinction entre l’association et la communauté ; il utilisera ainsi ces termes de manière indistincte dans sa critique des auteurs « communistes » ; il écrit ainsi « opposant la communauté à la propriété, nous nous prononçons contre ces deux modes de société simpliste », P.-J. Proudhon [1982 (1843), p. 356].

992.

Identifiant l’association à la société, il déclare notamment : « l’association libre, la liberté, qui se borne à maintenir l’égalité dans les moyens de production , et l’équivalence dans les échanges , est la seule forme de société possible, la seule juste, la seule vraie », P.-J. Proudhon [1849 (1840), p. 251].

993.

« La philosophie, c’est-à-dire, la métaphysique, ou, si l’on aime mieux, la logique, est l’algèbre de la société ; l’économie politique est la réalisation de cette algèbre », P.-J. Proudhon [1846b, p. 396].

994.

P.-J. Proudhon [Ibid., p. 401].

995.

P.-J. Proudhon [Ibid., p. 414].

996.

P.-J. Proudhon [Ibid., pp. 258-311]. Il faut aussi ajouter Qu’est-ce que la propriété ? ou recherches sur le principe du droit et du gouvernement. 1 er mémoire qui développe une condamnation des effets de la communauté, P.-J. Proudhon [1849 (1840)].

997.

P.-J. Proudhon [1982 (1851), pp. 155-176].