a - L’association comme communauté

Les socialistes en voulant pallier les défauts du système individualiste de l’économie politique n’ont que transposé ‘« l’homme collectif à l’individu dans chacune des fonctions sociales, production, échange’ ‘, consommation, éducation, famille »’ 998 . Mais là où ils ont cru apporter un bien, ils n’ont fait qu’amplifier les problèmes de l’organisation sociale, car toute personne donne plus d’importance à ses fins individuelles qu’au partage, à la dépendance qu’implique la communauté. P.-J. Proudhon réduit ainsi le courant réformiste socialiste en un principe, la fraternité, duquel, déclare-t-il, on ne peut établir aucune règle explicative du fonctionnement économique 999 . On peut ainsi dénombrer au moins quatre points qui donnent les raisons des échecs pratiques présents et futurs des projets réformistes.

Premièrement, les socialistes ont fait de la fraternité un principe a priori de l’organisation sociale alors qu’il doit constituer un résultat du système économique. Dans cette perspective, la science économique se doit de distinguer deux tâches complémentaires : l’« organisation du travail »et la « théorie de l’échange » afin d’aboutir à la convergence des intérêts particuliers 1000 .

Deuxièmement, les socialistes ne fournissent jamais de règles de répartition des biens au sein de l’association. Il faut bien en effet adapter la production aux besoins de la consommation et partant à procéder à une individualisation des biens consommés entre associés et à une mesure de leur rémunération individuelle ne serait-ce que pour respecter les libertés de chacun. Dès lors qu’une « loi de répartition » est introduite, la communauté n’existe plus.

Troisièmement, la production suppose aussi une organisation du travail qui ‘« implique nécessairement liberté et individualité du travail’ ‘ »’ car sinon comment, s’interroge P.-J. Proudhon, ‘« assurer l’efficacité’ ‘ du travail et la fidélité du rendement ? »’ 1001 . Il en résulte au total que sans une organisation de la production et sans une répartition de la consommation individualisées, la communauté pourra effectivement se développer mais au prix d’une atteinte des libertés individuelles.

Enfin, quatrièmement, la fraternité n’est pas réalisable sans la pratique de la justice dans l’échange économique. Il n’y a en effet aucune certitude quant à la pratique effective des sentiments sympathiques au sein de l’association s’il n’existe pas pour chacun de ses membres une garantie extérieure d’une réciprocité de traitement seule à même d’assurer la liberté et l’indépendance individuelles.

Pour toutes ces raisons, la communauté ne peut se développer qu’au prix d’une contrainte nécessaire. C’est pourquoi, P.-J. Proudhon en conclut que l’association n’est rien d’autre en définitive que ‘« l’idée économique de l’Etat’ ‘, poussée jusqu’à l’absorption de la personnalité et de l’initiative individuelle »’ 1002 . On retrouve sur ce dernier point les critiques émises déjà en 1840 1003  ; la propriété collective est d’une part, source d’injustice dans la mesure où elle partage de manière égale la richesse économique alors que celle-ci résulte nécessairement d’inégales contributions individuelles en termes de travail et de compétences. Et d’autre part, elle est coercitive en ce sens qu’elle limite l’indépendance et la liberté individuelles.

L’association est ainsi un principe qui ne peut se développer spontanément ou par effet d’apprentissage, contrairement à ce que les socialistes réformistes ont pu affirmer. Cette dernière caractéristique explique pourquoi les projets de réorganisation sociale par l’association en sont restés à des idées non suivies d’actes 1004 . A l’inverse, l’économie politique se fonde sur les faits de la production et de la distribution des biens économiques. Pour autant, la propriété est condamnée au même titre que la communauté à la différence près que cette dernière ne permet pas, non seulement de réaliser une organisation et une répartition optimale des richesses, mais entrave en outre les libertés individuelles. Ces critiques relatives aux effets de l’association sont complétées en 1841 dans Idée générale de la Révolution au XIX e siècle, par une remise en cause des bénéfices économiques et sociaux auxquels le principe d’association est censé conduire.

Notes
998.

P.-J. Proudhon [1846b, p. 261].

999.

P.-J. Proudhon [Ibid., p. 270].

1000.

P.-J. Proudhon [Ibid., p. 273].

1001.

P.-J. Proudhon [Ibid., p. 288].

1002.

P.-J. Proudhon [Ibid., p. 294].

1003.

Dans Qu’est-ce que la propriété ? ou recherches sur le principe du droit et du gouvernement. 1 er mémoire, P.-J. Proudhon [1849 (1840), pp. 226-245].

1004.

Car souligne P.-J. Proudhon, qu’est-ce « qui empêche les socialistes de s’associer entre eux, si la fraternité suffit ? », P.-J. Proudhon [1846b, p. 274].