2.1) Les prémices du principe de mutualité

Le développement de l’idée mutuelliste est étroitement dépendant de l’évolution de la pensée de P.-J. Proudhon sur la propriété. D’abord critique dans ses trois Mémoires, condamnant la propriété pour les « droits d’aubaine » et le « despotisme » qu’elle génère, P.-J. Proudhon n’aborde presque plus ce problème ensuite entre 1842 et 1848 sauf dans deux ouvrages De la création de l’ordre dans l’humanité, ou principes d’organisation politique et du Système des contradictions économiques. Pourtant, cette question de la propriété, est essentielle car la baisse des inégalités sociales repose sur son mode d’organisation. En fait, elle est constitutive du principe de mutualité qui trouve ses premiers développements à cette période. Axant dans un premier temps sa critique sur le fait qu’elle permette à la fois de percevoir un revenu sans travail et de bénéficier de la « force collective » du travail, la propriété est condamnée dans un second temps en ce qu’elle entrave la circulation des richesses ; elle devient ainsi antinomique de la division du travail et de l’échange économique. Dans cette perspective, la propriété freine la circulation économique car elle donne droit aux propriétaires, capitalistes et entrepreneurs à un intérêt sur les capitaux prêtés réduisant de fait la rémunération des salariés et ne leur permettant pas de consommer ce qu’ils produisent. Les crises économiques et sociales sont donc directement imputées à la propriété qui par le prélèvement des intérêts des capitaux dans les échanges économiques ne permet pas d’équilibrer la production et la consommation 1036 . La solution économique consiste alors, non pas à l’instar des différents projets socialistes de V. Considérant, L. Blanc, etc. d’organiser le travail par l’association, mais d’agir sur l’échange, de créer les conditions d’une circulation économique libre, sans entrave, conduisant à l’identité de la production et de la consommation. Un extrait de la lettre que P.-J. Proudhon écrit à K. Marx le 17 mars 1846 est à ce titre éclairant : il faut ainsi ‘« faire rentrer dans la société, par une combinaison économique, les richesses qui sont sorties de la société par une autre combinaison économique. En autres termes, tourner en Economie politique, la théorie de la propriété, contre la propriété, de manière à engendrer ce que vous autres socialistes allemands appelez communauté, et que je me bornerai pour le moment à appeler liberté, égalité’ ‘ »’ 1037 . La propriété est définie comme la rémunération d’un capital, l’intérêt, dont le propriétaire consent à se démunir pour une période de temps déterminée. Aussi faut-il bien distinguer cette définition de celle qui est aussi employée par P.-J. Proudhon caractérisant la propriété comme la libre disposition du produit de son travail.

La Banque d’échange, projet datant de 1848, constitue un aboutissement des idées concernant l’association dans l’échange, d’« association progressive », que P.-J. Proudhon commence à développer dès 1844 (a) 1038 offrant de nombreux points de recoupement avec le principe de mutualité exposé dans la conclusion du Système des contradictions économiques (b).

Notes
1036.

Voir le paragraphe 2.2 suivant.

1037.

P.-J. Proudhon [1982 (1849c), p. 435].

1038.

Les premiers écrits sur l’« association progressive » datent du premier Carnet comprenant les notes de P.-J. Proudhon prises entre approximativement juillet 1843 et juin 1845, P.-J. Proudhon [1960, p. 66 ; pp. 74-105].