b – Le mutuellisme comme synthèse de la propriété et la communauté

Le Système des contradictions économiques part du constat de l’antinomie de la propriété et de la communauté, principes économiques découlant respectivement de l’économie politique et du socialisme. La première parce qu’elle n’a pas répondu dans ses applications aux objectifs qu’elle s’était fixée, « la liberté, l’ordre et le bien-être parmi les humains » 1059 , reste incomplète, alors que le second, car il s’est restreint à la critique du système social existant sans développer pratiquement ses principes théoriques, ne peut prétendre combler les insuffisances de la première. P.-J. Proudhon, lui aussi, ne fournit pas de réelles solutions dans cet ouvrage restant avant tout critique. La prise en compte des Carnets apporte en contrepartie des voies alternatives possibles. Développant d’abord l’idée d’organiser la production et la consommation par association, P.-J. Proudhon privilégie ensuite l’organisation de la circulation économique au moyen du principe de mutualité, de l’« association progressive ». L’objectif reste le même : renverser l’ordre social actuel en subordonnant le capital au travail par une réduction progressive des intérêts demandés sur les prêts des capitaux. La partie conclusive du Système des contradictions économiques permet d’effectuer le lien entre mutualité, et, propriété et communauté : la théorie de la mutualité est conçue comme la synthèse de l’économie politique et du socialisme 1060 . Elle se définit comme une « loi d’échange », offrant aux co-échangistes des garanties réciproques sur les valeurs des biens échangés et assurant en outre ‘« toutes les conditions d’efficacité’ ‘, de progrès et de justice »’ 1061 . Entre autres avantages, figure la primauté du travail sur le capital faisant que l’intérêt sur le capital disparaît. Ce principe du « mutuum » réactualise l’échange de biens en nature dont, selon P.-J. Proudhon, on trouve les traces dans les pratiques commerciales des premières sociétés humaines 1062 . Dans cette perspective, la synthèse proposée rétablit un état social originel où l’intérêt du capital était inconnu et le travail réalisé le fondement de l’organisation économique ; ‘« le prolétaire peut […] par l’association’ ‘ »’, aujourd’hui recréer les conditions socio-économiques de cet état originel 1063 .

Dans cette conclusion, P.-J. Proudhon n’a pas encore totalement abandonné l’idée d’organisation du travail sur laquelle nous avons souligné précédemment son changement d’opinion dans les Carnets. Aussi, le projet de la Banque d’échange rédigé en mars 1848 met-il un terme transitoire au principe de l’association dans la production et partant dans la consommation.

Notes
1059.

P.-J. Proudhon [1846a, p. 42].

1060.

Car comme le reconnaît P.-J. Proudhon dans ses Carnets, l’idée d’« association progressive » lui est venue principalement de l’étude de l’économie politique, mais à laquelle il a ajouté « une synthèse encore inconnue », P.-J. Proudhon [1960, p. 161]. Par ailleurs, bien que très critique à l’égard des réformateurs socialistes, et en premier lieu d’E. Cabet et de L. Blanc, il se déclare socialiste dans le sens où il récuse la propriété et recherche comme eux l’égalité dans la production et dans la répartition, mais sans que celle-ci n’entraîne la contrainte individuelle, P.-J. Proudhon [1846b, p. 260].

1061.

P.-J. Proudhon [Ibid., p. 414].

1062.

P.-J. Proudhon [1960, p. 214 ; 1846b, p. 414].

1063.

La société ne suit donc pas une évolution idiosyncratique car « l’humanité, dans sa marche oscillatoire, tourne incessamment sur elle-même : ses progrès ne sont que le rajeunissement de ses traditions ; ses systèmes, si opposés en apparence, présentent toujours le même fond, vu de côtés différents. La vérité, dans le mouvement de la civilisation, reste toujours identique, toujours ancienne et toujours nouvelle », P.-J. Proudhon [Ibid., p. 415-416].