1.2) Le faible interventionnisme social

Le Second Empire adopte un « programme social volontariste » (césarisme social) apportant des moyens économiques et autoritaires à la résolution de la question sociale. Si les résultats obtenus n’ont pas été à la hauteur des espérances affichées par les pouvoirs publics, ils permirent néanmoins d’une part, de résorber pour partie le sous-emploi permanent, notamment rural, de la première moitié du XIXe siècle, et d’autre part, favorisèrent une politique législative plus souple à l’égard de la population ouvrière 1165 . Pourtant, la volonté d'agir socialement de la part de l’Etat ne fut pas inexistante sous le Second Empire ; en témoigne le décret du 26 mars 1852 sur les Sociétés de secours mutuel qui permet pour chaque société la constitution d’un fonds de retraite pour ses membres et son placement à la Caisse des Dépôts et Consignations 1166 . Néanmoins, les dépenses de l’Etat resteront principalement économiques jusqu’en 1880. Ce n’est en effet qu’à partir de cette période que s’amorcent les débats parlementaires qui aboutiront à la promulgation des premières lois marquant le développement du droit social à la fin du XIXe siècle ; il s’agit de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, la loi du 14 juillet 1905 sur l’assistance obligatoire aux vieillards, infirmes et incurables indigents, et, la loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes. Elles définissent les premiers jalons d’une « société assurantielle » dans laquelle la question sociale n’est plus une affaire de morale mais de droit. La société n’est plus représentée comme la somme des membres qui la compose mais comme un tout, d’où émerge une certaine quantité de richesses pour laquelle il incombe à l’Etat de répartir les avantages et les coûts que sa production aura causé ; d’individuelle, la responsabilité devient collective : ‘« les causes d’insécurité, les accidents, la maladie, la vieillesse ont un coût social que la société, qui a maintenant le devoir de les assurer, doit maîtriser et si possible diminuer »’ 1167 .

Cependant, d’autres formes d’action sociale étatique furent promues durant le XIXe siècle. Elles ne passaient pas par une intervention directe mais par un soutien institutionnel et financier apporté, soit à des institutions de charité privée (religieuse ou non) 1168 , soit à des organisations publiques départementales ou communales. Parmi ces dernières, on notera, premièrement, les monts-de-piété qui sont reconnues d’utilité publique en 1856 mais qui par les taux d’intérêt pratiqués, de l’ordre de 12%, ne pouvaient attirer les catégories sociales pauvres ; deuxièmement, les hôpitaux, qui avant de remplir des fonctions médicales assuraient des opérations d’assistance et d’hébergement ; et, troisièmement, les bureaux de bienfaisance, financés en moyenne pour un tiers par l’Etat, mais qui concernaient en fait surtout les villes et peu la campagne 1169 . Au reste, on notera que si finalement l’intervention sociale de l’Etat prend des formes variées, elle demeure très faible en termes de dépenses économiques 1170 . Ce n’est qu’à partir de la loi du 15 juillet 1893 sur l’assistance médicale gratuite que l’Etat exercera une action sociale directe 1171 .

Notes
1165.

Parmi les mesures les plus marquantes, on pourra noter la loi du 1er juin 1853 sur les Conseils des prud’hommes, et, la loi de 1864 autorisant les coalitions.

1166.

Le décret napoléonien représente, selon B. Gibaud, « l’une des premières lois sociales françaises effectives, sinon la première, compte tenu des décisions éphémères de février 1848 et du caractère modeste de celles arrêtées sous la Seconde République », B. Gibaud [1998, p. 39].

1167.

F. Ewald [Op. cit., p. 334].

1168.

La diversité et la multiplicité des actions d’assistance privée ne permettent pas d’en mesurer aujourd’hui l’ampleur et l’efficacité globales. Aussi, ne faut-il pas pour cette période opposer charité privée et « charité légale » quand on connaît, souligne A. Gueslin, « les liens parfois étroits qui [existaient] entre les oeuvres privées et la puissance publique », A. Gueslin [Op. cit., p. 192].

1169.

En 1871, note A. Gueslin, une commune sur trois dispose d’un bureau de bienfaisance, A. Gueslin [Ibid., p. 276].

1170.

Le budget de l’assistance de l’Etat n’est que de 1.4 % en 1872, A. Gueslin [Ibid., p. 283].

1171.

Cette loi stipule que toute personne ne disposant pas de ressources financières suffisantes peut recevoir gratuitement une assistance médicale subventionnée à hauteur de 80 % par l’Etat.