2) Le développement coopératif

Le terme de « coopération » apparaît au cours des années 1860 1181 . Sa définition est à très peu de chose près identique à l’association ; elle désigne ainsi ‘« une forme nouvelle d’association’ ‘ ayant pour but de faire naître et d’utiliser la petite épargne, de supprimer certains intermédiaires et de s’approprier, collectivement d’abord, individuellement ensuite, les bénéfices obtenus en commun »’ 1182 . Cependant, comme pour le principe d’association, tous les auteurs ne vont pas lui donner un sens univoque ; elle relèvera de l’association de capitaux pour les uns, de l’association de personnes pour les autres ; elle ne s’opposera pas pour certains à la propriété privée, alors que pour d’autres elle impliquera la subordination de la propriété individuelle à la propriété collective. La signification mais surtout les finalités de l’association coopérative sont par conséquent multiples, parfois opposées. Si la désignation d’association ouvrière peut a priori servir à bien les distinguer des coopératives d’inspiration patronale, elle ne permet pas d’en discerner l’influence libérale ou socialiste 1183 . Plusieurs économistes libéraux dans les années 1860 font en effet de la coopération ouvrière un moyen efficace de contrer le développement de la grande industrie. C’est en effet la fonction des associations ouvrières d’opérer un retour « au moins pour un grand nombre d’industries, au travail isolé et à la vie de famille, car là est la tendance et l’éternel instinct de l’humanité ». Il ne s’agit de développer ni « la charité publique ou privée, qui a créé plus de misères qu’elle n’en a soulagé, en habituant les hommes à l’humiliation et en brisant dans les âmes le ressort de l’initiative personnelle », ni les institutions du patronage social qui ont néanmoins le mérite de « défendre [les] ouvriers contre la misère », mais bien des associations volontaires ne reposant que sur les seules initiatives ouvrières 1184 . De même, l’association ouvrière pourra aussi bien viser la subordination du capital au travail, « l’abolition du salariat » pour C. Gide, que l’extension de la propriété du capital tout en maintenant le principe de l’échange salarial à l’instar de L. Walras 1185 . Diversité d’inspiration autant que des buts poursuivis, il faut donc bien se garder, plus encore que pour la période précédente (1830-1852), d’identifier l’idée d’association coopérative à un objectif réformiste dans la mesure où elle peut aussi se prêter à conforter l’organisation économique existante, voire à favoriser un retour à d’anciennes formes économiques fondées sur la petite production et la petite propriété.

La coopération connaît ainsi un double développement au cours de la période considérée (1863-1890) entrecoupée d’une phase d’arrêt comprise entre la Commune et le début des années 1880.

Notes
1181.

Voir A. Gueslin [Op. cit., pp. 270-271].

1182.

C’est la définition donnée par Ernest Brelay dans le Nouveau Dictionnaire d’Economie Politique publié sous la direction de Léon Say et Joseph Chailley en 1893, E. Brelay [1893].

1183.

P. Leroy-Beaulieu différencie ainsi les coopératives de consommation fondées « avec des capitaux bourgeois », financées par des « hommes influents et expérimentés » qui dans la majorité des cas réussissent car elles sont dirigées par des « véritables commerçants, doués de ces vertus traditionnelles ou acquises », des véritables associations ouvrières qui, à l’inverse, ont des taux d’échecs très élevés, P. Leroy-Beaulieu [1872, p. 275].

1184.

E. Véron [1865, p. 19 ; p. 23]. La thèse libérale de la coopération est exposée la première fois par Ignace-Einhorn Horn dans la Préface d’un ouvrage d’Anselme Batbie, Le crédit populaire (1863), voir J.-P. Potier et C. Hébert [1990, p. XII].

1185.

Voir 2nde partie, chap. 2 et chap. 3.