La remise en cause de l’idée coopérative par le socialisme français, sous l’instigation de Jules Guesde, en octobre 1979 lors du IIIe Congrès ouvrier (Marseille) va être un élément déterminant dans l’orientation du mouvement coopératif dans les années 1880. On peut supposer qu'elle trouve ses prémices dans la conception de Karl Marx sur les coopératives ouvrières qu'il développe dès 1864 ; hypothèse confortée lorsque l’on connaît l’influence de la pensée de K. Marx sur J. Guesde 1192 . K. Marx juge d’abord favorablement la coopération ouvrière car elle a montré, premièrement, qu’une importante production n’implique pas nécessairement le recours au salariat ; deuxièmement, que les moyens de production sont productifs sans qu’ils ne soient « monopolisés pour la domination et l’exploitation du travailleur » ; et troisièmement, que le contrat salarial « n’est qu’une forme transitoire et inférieure destinée à disparaître devant les travailleurs associés » 1193 . Pour autant, elle ne saurait atteindre les objectifs qu’elle appelle de ses vœux dans la mesure où les propriétaires fonciers et les propriétaires des capitaux rechercheront toujours à affermir leur domination économique par les pouvoirs politiques qu’ils disposent dans l’économie capitaliste ; c’est pourquoi, le développement coopératif bien qu’utile n’est pas suffisant à la transformation de l’organisation économique. Celle-ci présuppose inévitablement un changement politique, c’est-à-dire la prise en charge par les producteurs au détriment des propriétaires capitalistes du pouvoir étatique. ‘« Le système républicain de l’association’ ‘ de producteurs libres et égaux »’ a prouvé par son action d’indéniables qualités face au régime salarial, fondé sur la subordination du travail au capital, mais il ne peut constituer une cause de changement économique car il se cantonne aux seuls ‘« efforts individuels des esclaves salariés »’, demeurant incapables d’agir efficacement contre la propriété capitaliste. En somme, le changement économique ne sera effectif que s’il repose sur une action politique préalable 1194 . On soulignera en outre que K. Marx se montre plus favorable à la coopération de production que de consommation ‘« celle-ci touchant seulement la surface du système économique actuel, l'autre l'attaquant dans sa base »’, mais que le maintien du principe coopératif repose d'abord sur l'emploi à des fins sociales ou politiques des excédents des coopératives ; un partage des bénéfices entre associés conduirait en effet nécessairement, selon K. Marx, les associations ouvrières à adopter des règles d'organisation proches des « sociétés par actions » 1195 . La coopération n'est pas par conséquent un moyen suffisant au changement économique.
Si tous les courants socialistes ne vont pas suivre cette ligne de pensée, et, si des coopératives vont continuer à se développer après 1879 en se réclamant des idées socialistes, le Congrès Ouvrier de Marseille marque une rupture momentanée entre le socialisme et la coopération. Celle-ci ne peut être, pour le courant guesdiste, un instrument d'émancipation économique mais simplement un moyen de propagande politique ; la solution collectiviste est ainsi préférée à celle de l'association 1196 . Cependant, le mouvement coopératif connaît dans les années 1880 un second développement s'inspirant autant d'idées socialistes, patronales, chrétienne que du nouveau solidarisme 1197 .
Voir notamment K. Marx [1965 (1880)].
Ses idées sont développées dans l’« Adresse inaugurale et statuts de l’association internationale des travailleurs » écrite à la suite de la fondation de l’Association Internationale des Travailleurs à Londres en octobre 1864, K. Marx [1965 (1864), p. 466]. Il les complétera ensuite dans le texte « Résolutions du premier congrès de l’Association International des Travailleurs, tenu à Genève en septembre 1866, K. Marx [1965 (1866)]. Sur la pensée de K. Marx sur la coopération, voir T. Lowitt [1962].
K. Marx [Op. cit., p. 1469].
K. MarxIbid., p. 1469
Voir H. Desroche [1981, pp. 110-120].
Solidarisme compris ici dans un sens large, voir le texte de C. Gide « L’école nouvelle », C. Gide [1890].