2.3) Le renouveau de la coopération

Deux ordres de faits doivent être distingués après 1880, d'une part l'évolution de la représentation institutionnelle de la coopération, et d'autre part, l'histoire des pratiques coopératives ; la première ne reflétant pas nécessairement la seconde. C’est en juillet 1885, sous l’égide d’Auguste Fabre et d’Edouard de Boyve, tous deux représentants de l’Ecole de Nîmes, que les coopératives de consommation décident de se fédérer en créant premièrement une Chambre consultative visant à jouer un rôle de conseiller politique auprès des pouvoirs publics, et deuxièmement, une Chambre économique afin d’opérer une centralisation des achats des coopératives adhérentes ; elles vont fonder l’Union coopérative en septembre 1889. Des oppositions de fonds relatives aux finalités de la coopération, doit-elle ou non servir un objectif politique ?, conduisent les socialistes en 1895 à créer une Bourse des coopératives socialistes, se séparant jusqu’en 1912 de l’Union coopérative dont C. Gide devient un représentant attitré. De l’autre côté, les coopératives de production créent en 1884 une Chambre Consultative des Associations Ouvrières de Production de France la complétant d’une Banque coopérative en 1893 ; mais, comme le note C. Gide, les coopératives de production vont surtout bénéficier entre 1880 et 1900 d’importantes aides de la part de l’Etat et de dons privés 1198 . Aussi, ces tentatives de fédéralisation de la coopération ne concernent qu’une partie minoritaire des coopératives. En 1888, par exemple, des 800 coopératives de consommation estimées, seules 60 adhèrent au mouvement de fédéralisation 1199 . Il existe donc avant 1895, parallèlement aux conflits opposant les partisans du « coopératisme conservateur » et du « coopératisme socialiste », auquel on peut rallier l’Ecole de Nîmes, une croissance réelle de la pratique coopérative 1200 . Si celle-ci touche moins de 9-10 % de la population française, elle n’en dénote pas moins d’un nouveau développement associatif comparable aux phases antérieures comprises entre les années 1840-1848 et 1863-1867. P. Leroy-Beaulieu, ou encore E. Brelay, tous deux rédacteurs à L’Economiste Français, n’y voient qu’un mouvement initié par les classes moyennes, la « classe bourgeoise » ; ils s’accordent avec C. Gide pour faire de la croissance de la coopération de consommation le fait marquant de l’associationnisme de la période, et aussi sur le fait que leur organisation s’inspire en grande partie des principes des Equitables Pionniers de la Rochdale 1201 .

Aussi, ce développement coopératif sur l’ensemble de la période doit-il être situé par rapport aux nouveaux mouvements revendicatifs qui se développent après la suppression de l’interdiction du droit de grève en 1864. Deux types d’engagements apparaissent dès lors : l’engagement politique proprement dit, et, l’engagement coopératif. Cependant, si la contestation sociale s’amplifie à partir des années 1860, l’implication ouvrière reste faible ; celle-ci s’expliquerait par l’hétérogénéité de la classe ouvrière 1202 . Cependant, la contestation sociale, par les grèves notamment, prend un caractère systématique à la fin des années 1880 mais surtout après 1890. L’action collective acquiert une « légitimité » par rapport à laquelle chaque travailleur est amené à se situer 1203 . Les grèves touchent de près ou de loin l’ensemble de la population ouvrière. Ainsi, le syndicalisme français s’affirme-t-il par le rôle révolutionnaire qu’il entend faire jouer à la contestation ouvrière ; l’action collective syndicale recherche dans cette perspective directement la collectivisation des moyens de production ; « idéologie de producteurs touchés au vif par la lame de fond que représente la restructuration du travail , le mythe part de l’idée que, si tous ensemble, les ouvriers décident de se croiser les bras, le capitalisme « tombera comme un fruit mûr » » souligne G. Noiriel 1204 .

Notes
1198.

C. Gide [1905, pp. 391-392].

1199.

Voir A. Gueslin [Op. cit., pp. 308-313].

1200.

C. Gide [1900 (1893b), p. 133].

1201.

C’est-à-dire qu’elles effectuent la vente de leurs produits aux prix du marché (prix de détail) et au comptant, que les bénéfices obtenus sont répartis entre les consommateurs en proportion des achats effectués, et, que les actions sur la coopérative sont rémunérées à un intérêt fixe (voir 2nde partie, chap. 3, § 1.2), E. Brelay [Op. cit., p. 588], P. Leroy-Beaulieu [Op. cit., pp. 587-588] et C. Gide [Op. cit., pp. 115-120].

1202.

C. Charle note : « l’adoption des pratiques définies comme celles marquant l’appartenance à la classe ouvrière – au sens de la théorie socialiste – n’est que partielle et intermittente en France parce que plus que dans les autres pays industriels coexistent plusieurs types de classes ouvrières », C. Charle [Op. cit., p. 299].

1203.

C. Charle [Ibid., p. 328].

1204.

G. NoirielOp. cit., p. 106. Si on recense 168 grèves en 1855, leur nombre passe à 271 en 1882, 389 en 1890, 634 en 1893, 771 en 1899, 890 en 1900, puis 1087 en 1904, 1354 en 1906 et 1517 en 1910, E. Dewerpe1989, p. 132.