b – Les conséquences économiques et morales des associations populaires

Le premier but des associations populaires est économique. Il s’agit en effet de conduire tous les travailleurs à la propriété du capital. Le « caractère coopératif » suppose que les actionnaires sont aussi leurs propres clients garantissant une capitalisation certaine de leurs épargnes individuelles. Ensuite, le « caractère populaire » assure que tous les capitaux mêmes les plus modiques trouvent dans l’association un moyen de développer leurs épargnes 1291 . L. Walras partage ici la conception libérale de la coopération développée notamment par son collègue L. Say. Ce dernier assimile en effet les associations coopératives à des ‘« caisses d’épargne, dont les fonds sont employés par les soins et au profit des déposants eux-mêmes »’ 1292 . Le but de la coopération consiste, identiquement aux réformateurs socialistes, en l’émancipation du travailleur, mais à la différence près que les associations populaires recherchent à récupérer pour les associés les bénéfices perçus habituellement par les intermédiaires, et non à les supprimer par la subordination du capital au travail 1293 . Suppression qui en outre reste théorique dans les projets socialistes car ils n’ont pas donné lieu à des applications pratiques. La rémunération salariale restera toujours une composante nécessaire de l’organisation économique en ce que pour L. Walras tous les types d’association jusqu’ici réalisés n’ont fait qu’associer les capitaux et non le travail. Par contre, ajouter au salaire l’intérêt du capital constitue effectivement le but des associations populaires. Les associés, ‘« en tant que travailleurs, reçoivent de la société un salaire fixé au taux exact déterminé sur le marché du travail, et que ces mêmes associés, en tant que capitalistes, participent soit aux bénéfices – soit aux pertes – de la société dans la proportion rigoureuse de la quotité de leur part de capital social »’ 1294 .

La coopération permet deuxièmement l’éducation morale des classes populaires 1295 . La pratique associative comprend en effet d’importantes « vertus » pédagogiques. Les travailleurs d’abord disposent d’un pouvoir de contrôle et de décision de l’activité associative au travers d’une représentation égalitaire pour chacun d’eux dans l’administration de l’association. Ils peuvent même ‘« recevoir les pouvoirs de mandataires en vue de la direction de l’entreprise »’ 1296 . En tant qu’actionnaires, ensuite, ils s’initient aux mécanismes financiers. Enfin, par l’encouragement à l’épargne et la régularité des cotisations versées au fonds social, les ‘associations ’populaires favorisent le développement de comportements économes 1297 .

Pour autant, l’association populaire, d’initiative individuelle, ne relève pas de la répartition de la richesse sociale, bien que ses conséquences tant économique que morale puissent laisser penser le contraire. L. Walras l’inclut en effet dans le champ de la production de la richesse sociale pour les deux raisons suivantes. Premièrement, parce que le placement des capitaux dans le fonds social crée un intérêt qui s’ajoute aux revenus salariaux. Et, deuxièmement, une partie de ces intérêts perçus est ensuite capitalisée dans l’association créant une production des richesses supplémentaires 1298 .

Cependant, parce que les associations populaires permettent aussi d’étendre les richesses à la société entière, L. Walras va les considérer au même titre que la réforme sociale comme un élément indispensable à l’avènement d’une organisation économique démocratique.

Notes
1291.

L. Walras [Ibid., p. 22 ; p. 178].

1292.

« Les sociétés coopératives sont de véritables caisses d’épargne tantôt financières, comme les sociétés de crédit, tantôt commerciales, comme les sociétés de consommation, tantôt industrielles comme les sociétés de production », L. Say [1990 (1866), p. 317]. Voir aussi L. Walras [Ibid., p. 168 ; pp. 171-172].

1293.

Les intermédiaires rappellent L. Say « n’offrent, en effet, d’autre avantage que d’économiser un capital […]. Pour pouvoir se passer des intermédiaires, il faut donc posséder un capital et, ce capital, pour le posséder, il faut l’avoir épargné », L. Say [Ibid., p. 327]. De même pour L. Walras le bénéfice que perçoit l’intermédiaire est « la rémunération la plus légitime du service le plus essentiel et le plus avantageux, et que seulement il convient encore, pour les coopérateurs, de recevoir pour eux-mêmes au lieu de la payer à d’autres », L. Walras [Ibid., p. 172].

1294.

L. Walras [Ibid., p. 172].

1295.

« Pour nous », souligne L. Walras, « la coopération est œuvre exclusivement d’initiative et d’action c’est-à-dire de moralité individuelle. Mais la moralité elle-même est un résultat en même temps qu’un principe. La moralité ; c’est ce qu’on récolte, ce qu’il faut semer, c’est l’instruction. Voilà comment l’instruction est à nos yeux la base dernière et essentielle de la coopération », L. Walras [Ibid., p. 275].

1296.

L. Walras [Ibid., p. 179].

1297.

L. Walras [Ibid., p. 41].

1298.

L. Walras résume ce processus de création des richesses ainsi : « une poussière impalpable, et qui se fût dissipée au vent de la consommation, est saisie par le mécanisme de la production et agglomérée en un premier noyau, qui va grossissant non proportionnellement, mais progressivement avec le temps, jusqu’à former une masse compacte et volumineuse », L. Walras [Ibid., p. 28].