1) La « République coopérative »

La réforme sociale avant de répondre à des objectifs économiques et politiques doit s’assurer de l’équité de son action. En effet, si l’amélioration de la situation matérielle et l’émancipation des travailleurs ne concernent qu’une partie des salariés, la nouvelle organisation économique reproduira inévitablement la division en classes de la société n’apportant de fait aucune solution viable à la question sociale. C’est d’ailleurs ce point précis que C. Gide reprend pour montrer en quoi les associations de production ne peuvent suffire au développement d’une économie coopérative ; les réussites des coopératives de production n’ont en effet pas conduit à l’amorce de la réforme sociale attendue mais à l’extension d’un « égoïsme corporatif » des producteurs associés et à l’accession d’une minorité de travailleurs compétents aux fonctions capitalistes 1352 . L’association de consommation évite cet écueil en ce sens que son but répond d’un intérêt commun partagé par tous les membres de la société, c’est-à-dire la satisfaction des besoins des consommateurs. C. Gide étaye son propos par la référence à la tradition économique initiée par F. Bastiat subordonnant le rôle du producteur à celui du consommateur. Trois raisons sont ainsi avancées. La production d’abord est un moyen visant à satisfaire le but de la consommation. A cette fin, le producteur ne peut avoir une connaissance parfaite des besoins réels du consommateur. Enfin, alors que l’intérêt du producteur repose toujours sur des fins individuelles, l’intérêt du consommateur se confond avec l’intérêt général 1353 . Par conséquent, si le développement des associations de production reste toujours une condition nécessaire à la réforme sociale pour C. Gide, suivant ici la voie tracée par C. Fourier, le moyen le plus efficace d’atteindre cet objectif repose sur la constitution préalable d’associations de consommation, comme l’expérience des Equitables Pionniers de la Rochdale l’a prouvé 1354 . Ainsi, la réforme coopérative poursuit à la fois un but économique, l’amélioration de la situation matérielle des classes les plus démunies, et politique, la transformation du salariat par l’émancipation du travailleur-salarié (1.1). Aussi, convient-il d’exposer les principes de l’organisation des associations de consommation afin de comprendre les raisons de la supériorité de l’économie coopérative sur l’économie capitaliste (1.2). La « République coopérative » suppose par ailleurs un développement progressif ponctué de trois étapes successives voyant l’extension de l’association libre aux secteurs commercial, industriel et agricole (1.3).

Notes
1352.

« Leur seul résultat », souligne C. Gide, « c’est donc d’avoir facilité à un petit nombre d’ouvriers d’élite le moyen de s’élever au rang de patrons », C. Gide [Ibid., pp. 101-104].

1353.

C. Gide [1900 (1898), p. 210].

1354.

Voir C. Gide [1900 (1886a)].