Deux grands types d’avantages découlent de l’organisation coopérative de la consommation et de son extension progressive 1407 . Au niveau économique en premier lieu ; elle permet d’améliorer le bien-être individuel à la fois par l’augmentation des quantités de biens consommés et par la qualité des produits vendus 1408 . Bien que vendant d’abord au prix de détail, le principe coopératif assure la détermination progressive du « juste prix », c’est-à-dire la vente des produits à leur prix de revient synonyme de la suppression complète de tous les intermédiaires entre le producteur et le consommateur et donc de tous les profits hormis ceux afférents à la rémunération du producteur et des capitaux engagés dans la production. Aussi, cette théorie du « juste prix » n’est pas sans avoir provoqué certaines critiques concernant la rigueur du développement proposé par C. Gide 1409 . En effet, la mesure de la valeur du prix de revient suppose une analyse des coûts de production dans lesquels sont distingués le capital et le travail 1410 . Le prix du capital déjà décroissant dans le processus de production actuel pour C. Gide, devient encore plus faible dans l’économie coopérative parce que l’accumulation de l’épargne des associés rend son coût presque nul. Le travail ensuite est exprimé en fonction des biens de consommation nécessaires à la satisfaction physique et morale du travailleur 1411 . Le « juste prix » reste donc indéterminé en ce sens que le coût du travail est évalué par le prix des biens de consommation eux-mêmes déterminés par le prix du travail. Pour autant, une fois la « République coopérative » réalisée, la question du prix du travail ne pose plus aucun problème puisqu’il s’identifie au prix de revient, donc au travail que les producteurs-consommateurs voudront bien consentir pour satisfaire leurs propres besoins 1412 ; les prix monétaires seront fixés a posteriori sachant que leur niveau affecte autant la rémunération du travail que le prix des biens produits. Loin de remettre en cause la concurrence, la coopération garantit à la fois la suppression de tous ses effets indésirables et l’amélioration de son efficacité. Elle renforce premièrement la liberté du travail en créant les conditions d’une ‘« concurrence loyale et dans des conditions égales pour tous »’ 1413 . L’économie coopérative fonctionne sur le principe réciprocitaire : chaque associé est en effet assuré de retrouver l’intégralité du produit de son travail, des efforts qu’il aura concédé pour satisfaire ses besoins, dans la valeur des biens que la société coopérative lui fournira en échange 1414 . Si la coopération permet la réalisation complète de la concurrence, elle supprime deuxièmement l’idée de profit qui lui reste attachée dans l’économie capitaliste ; les associés n’ont plus pour but la recherche du gain mais la satisfaction de leurs besoins. Mais est-ce que le principe coopératif ne va pas ainsi abaisser les stimulants de l’action individuelle ? Est-ce que les travailleurs-associés maintiendront les mêmes efforts productifs si le mobile du profit est exclu ? L’expérience coopérative a démontré, selon C. Gide, que l’association libre peut réaliser ‘« le maximum d’énergie et le développement intégral de la personnalité humaine »’. La personne dispose, poursuit-il, d’une conscience morale suffisamment développée pour trouver dans l’« aide mutuelle » de la coopération une motivation à l’effort au travail. Donc, loin d’affaiblir l’émulation de la concurrence, la coopération la renforce ; elle conserve ‘« ce qu’il y a en elle d’éternel comme émulation pour le bien »’ 1415 . Elle explique même du moins en partie la supériorité productive de la « République coopérative » sur l’économie capitaliste 1416 .
Les avantages de la pratique coopérative ne sont pas qu’économiques ; ils sont aussi moraux. Elle habitue d’abord les associés à l’épargne et la prévoyance 1417 . Mais c’est davantage sur l’éducation économique et morale que C. Gide va insister. Nous avons mentionné plus haut cette propriété importante du coopératisme ; elle l’est d’autant plus parce que l’efficacité économique de la coopération en dépend en grande partie. Il s’agit d’un apprentissage économique des compétences de direction et d’administration de l’association coopérative. Car les classes ouvrières manquent aujourd’hui, selon C. Gide, à la fois des capacités de commandement et de gestion des capitaux, et de la « vertu d’obéir » nécessaire au bon fonctionnement de toute organisation économique 1418 . Cette compétence industrielle se complète d’une compétence commerciale acquise par le traitement quotidien des « affaires » de la société coopérative de la part des associés-consommateurs 1419 . Néanmoins, ces capacités techniques ne sauraient suffire au développement coopératif. La soumission à l’autorité supposait déjà l’assimilation de nouvelles valeurs morales pour les classes ouvrières auxquelles C. Gide ajoute le sens de l’autonomie, de la responsabilité et de la solidarité entre autres 1420 .
La solidarité volontaire bien que primordiale dans les premières phases du développement des associations de consommation trouve un soutien non négligeable dans les effets induits de la pratique coopérative. Cependant, si la « République coopérative » constitue bien une fin recherchée par les sociétés coopératives de consommation, c’est moins pour les transformations de l’organisation sociale que C. Gide encourage l’engagement coopératif, mais davantage pour l’action morale que l’association libre permet de développer par laquelle les consommateurs affirment intentionnellement et volontairement leur souveraineté individuelle 1421 .
Nous envisagerons en effet aussi certaines des conséquences de l’extension de la coopération de la consommation à la production.
C. Gide [1900 (1886b), p. 24].
Elle manifesterait même, pour M. Pénin, l’incapacité de C. Gide à résoudre certains problèmes que suscitent ses développements théoriques et « sa tendance à se satisfaire de réponses peu cohérentes, approximatives et parfois contradictoires », M. Pénin [1997, p. 281]. Voir aussi M. Pénin [1991b, pp. 322-325 ; pp. 327-328].
La terre est intégrée au capital.
Voir C. Gide [1941 (1920-21)].
Hormis une part nécessaire consacrée aux dépenses collectives.
C. Gide [1900 (1899), p. 232].
Les sociétés coopératives de consommation « ont précisément pour but d’assurer autant que possible le règlement des intérêts par de libres contrats », C. Gide [Ibid., p. 232].
C. Gide [Ibid., pp. 244-253].
En partie seulement car à l’émulation coopérative, par nature solidaire, C. Gide ajoute l’action de l’intérêt individuel : « l’ouvrier travaillant pour son propre compte doit déployer son maximum d’activité », C. Gide [1900 (1886b), p. 32.].
La coopération apporte « la prudence dans les dépenses […], la sécurité du lendemain, le sentiment de je ne sais quelle dignité nouvelle […] et l’Espérance », C. Gide [Ibid., p. 29].
C. Gide [Ibid., p. 40].
C. Gide [1900 (1888), p. 72].
« Accepter sans murmurer les mauvaises chances, serrer les rangs […] avoir foi dans sa cause, réagir contre l’individualisme qui nous dessèche, apprendre à s’occuper non pas seulement de ses propres intérêts mais de ceux d’autrui, bannir le mensonge sous forme de réclames, et la fraude sous forme de falsification des denrées, de faux poids » constituent autant de fins morales dont la pratique coopérative peut permettre l’apprentissage, C. Gide [1900 (1894), p. 197].
Voir la partie 2 suivante.