Le projet de « République coopérative » ne doit pas être tenu comme une fin en soi mais comme un moyen favorable à la diffusion d’une solidarité volontaire. Elle forme un milieu social particulièrement bien adapté pour une prise de conscience des droits mais aussi et surtout des devoirs de chacun 1440 . L’association libre constitue, pour C. Gide, « la loi la plus universelle de ce monde » à la fois parce qu’elle organise le « monde naturel », et, qu’elle devient un fait de société en croissance constante 1441 . Aussi, la société coopérative de consommation n’est-elle aujourd’hui qu’une des formes possibles de l’association libre caractéristique du développement social de la solidarité. Pour autant, l’idée de solidarité n’est pas propre au coopératisme comme le rappelle C. Gide : les économistes depuis A. Smith en passant par F. Bastiat, et, aujourd’hui les différents courants solidaristes d’E. Durkheim à Léon Bourgeois, l’ont en effet placée au cœur de leurs principes théoriques 1442 . Cependant, il va s’en démarquer, premièrement en n’adoptant pas l’hypothèse de l’économie politique d’une solidarité naturelle mais à l’inverse en supposant que l’idée de solidarité implique un engagement individuel volontaire et réfléchi (2.1) ; et, deuxièmement, en montrant que si l’association mutuelle des solidaristes constitue effectivement un progrès moral, elle ne permet pas la réalisation complète de la solidarité contrairement à l’association coopérative de consommation. Le coopératisme s’affirme alors comme une synthèse de l’individualisme et du socialisme (2.2).
« N’est-on pas en droit de penser que la première condition de toute réforme sociale [...] ce serait d’apprendre au consommateur quels sont ses droits et comment les exercer ? Quels sont ses devoirs et comment les remplir ? », C. Gide [1900 (1898), p. 218].
L’optimisme de C. Gide dans l’avenir de la coopération est en effet bien réel : « non seulement le lien qui unit tous les membres d’une nation ou même du genre humain deviendra de plus en plus étroit, mais encore on verra se former, au sein de la masse, des groupements de plus en plus nombreux et de plus en plus variés, véritables organes, eux aussi, chargés de pourvoir aux diverses fonctions sociales » (C. Gide [1900 (1888), p. 55]). L’analogie avec la biologie est ici explicite. Il s’oppose d’ailleurs à l’hypothèse darwinienne selon laquelle l’évolution sociale répond d’une lutte pour la vie, c’est-à-dire d’une « sélection des meilleurs » par la concurrence, et croit davantage dans le développement de la coopération et de l’aide mutuelle (C. Gide [1900 (1899), pp. 234-252]). Y. Breton souligne à ce titre que C. Gide trouve pour partie confirmation de cette thèse dans la lecture de l’ouvrage de Patrick Geddes, Evolution of Sex, publié en 1889 (traduit en français en 1892) montrant la supériorité de la coopération sur la lutte pour la vie dans le progrès des espèces, Y. Breton [2000a, p. 842].
C. Gide [1902, pp. 207-209]. C. Gide aborde pour la première fois la question de la solidarité au cours d’une conférence à l’Université de Genève en 1889 (28 mars) présentant Quatre écoles d’économie sociale dans lesquelles il distingue l’école de la solidarité dont il se revendique (C. Gide [1890]). Mais si ce n’est qu’en 1889 que le terme de solidarité apparaît dans les écrits de C. Gide, la définition et les propriétés qu’il va lui attribuer sont déjà comprises dès ses premières conférences de propagande de 1886.