C’est parce que la solidarité est libre et volontaire ‘« qu’elle acquiert sa valeur morale »’ 1450 , en conséquence de quoi le coopératisme ne peut que s’opposer à la solidarité de l’économie politique. En fait, C. Gide inscrit la solidarité dans un schéma évolutionniste en trois étapes. La première correspond à une solidarité naturelle, « inconsciente » mais néanmoins nécessaire à toute personne pour maîtriser un « monde naturel » qui sinon la dominerait 1451 . La seconde étape développe toujours une solidarité naturelle, mais devient aussi volontaire dans la mesure où la personne reconnaît la nécessité de l’organisation sociale sans pour autant contribuer spontanément à son fonctionnement ; la solidarité relève alors d’obligations sociales imposées par la collectivité. Enfin, la troisième et dernière étape voit l’établissement d’une solidarité libre et volontaire sans qu’aucune contrainte ne soit portée à l’encontre du comportement individuel contrairement à la phase précédente. Elle n’est plus naturelle mais ‘« artificielle, en entendant par là celle qui est voulue et réalisée par des moyens intentionnels »’ 1452 .
Si, à l’instar des économistes, C. Gide part de présupposés individualistes, les conséquences de son coopératisme en sont inversées : c’est en effet au travers de l’association libre que la personne prend conscience que son émancipation économique ne peut reposer comme le postule l’économie politique sur la poursuite de son intérêt individuel mais qu’elle nécessite une « solidarité réfléchie, voulue, active » 1453 . Elle ne doit son « individualité » qu’à la collectivité à laquelle elle appartient. De fait, l’intérêt général prévaut sur l’intérêt individuel même s’il n’est pas question d’attenter la moindre action à l’encontre des libertés individuelles ; il y a donc solidarité ‘« quand il y a sacrifice d’un intérêt individuel’ ‘ en échange’ ‘ d’un avantage social, l’avantage que l’individu trouve à faire partie d’une association’ ‘ et qui lui confère de plus puissants moyens de se développer lui-même »’ 1454 . Ainsi, si les économistes supposent que la poursuite de l’intérêt individuel suffit à l’harmonie sociale, C. Gide prend d’emblée le parti adverse : comment en effet, s’interroge-t-il, obtenir le sacrifice des intérêts particuliers nécessaire à l’intérêt général en excluant d’emblée tout moyen de coercition ? Il trouve la solution dans la solidarité, apportant donc une réponse morale à la question sociale.
Cependant, cette solidarité ne saurait se développer sans une modification préalable du milieu social, c’est-à-dire dans le développement d’associations coopératives, mais demeurant le produit d’actions individuelles volontaires. Donc, si effectivement, fidèle aux enseignements du socialisme associationniste, le coopératisme montre que la solution à la question sociale suppose a priori une transformation de l’organisation sociale, celle-ci dépend des seuls engagements individuels auxquels voudront bien se prêter les membres de la collectivité. Engagements qui reposent sur la réussite de « l’éducation solidariste » des associations coopératives 1455 .
C. Gide [1900 (1893a), p. 154].
C. Gide [Ibid., p. 154].
C. Gide [1902, p. 223].
C. Gide [Ibid., p. 232].
C. Gide [1904b, p. 47].
C. Gide [1902, p. 224].